“Babeuf” par Dommanget

Babeuf et la conjuration des Egaux, Maurice Dommanget (dans la lignée de Furet et Richet – et pour compléter cette lecture en attendant de s’attaquer à Eric Hazan). Chez Spartacus, maison d’édition qui a publié du même auteur des livres qui, davantage que celui-là, attisent la curiosité – surtout 1793, les Enragés contre la vie chère, le curés rouges, Jacques Roux, Pierre Dolivier de 1948 (titre terriblement actuel!) – mais qui semblent difficiles à dégoter. Le Babeuf a été récupéré lors d’un « désherbage » en bibliothèque (on jette vraiment tout et n’importe quoi en bibliothèque, et vu le niveau de l’Éducation nationale, les temps à venir ne s’annoncent pas plus éclairés). Mais Dommanget d’abord. Sa bonne tête, sa mâchoire carrée de syndicaliste révolutionnaire, sa vitalité, assurément, entre ses activités politiques et sa curiosité intellectuelle. Fils de boucher, ce sont ses publications sur l’histoire de son canton (Neuilly-Saint-Front) pendant la Révolution qui le font remarquer d’Albert Mathiez sous la direction duquel il obtient un DES. Instituteur, il milite avec sa femme dans des fédérations de l’Éducation, attentif toujours à faire primer l’indépendance sur les logiques politiciennes et idéologiques. Anti-stalinien de 1929 (il quitte alors le PCF), il sera destitué par Vichy en 1939. Bon gars somme toute. Finit par se consacrer à l’Histoire. Meslier, Blanqui, Eugène Pottier, Sylvain Maréchal, Eugène Varlin, voilà quelques noms, plus ou moins illustres, qui mériteraient qu’on republie Dommanget. On ne souligne jamais assez le rôle nauséabond des éditeurs et des libraires : loin de promouvoir des ouvrages qui gagneraient à être connus, ils répondent à la logique marchande afin de survivre. Ceux, du reste, qui ne s’y soumettent pas font infailliblement faillite. On entend souvent leurs lamentations, mais qui sème le vent récolte la tempête. Babeuf maintenant. Du Directoire que tout le monde méconnaît, peut-être la figure la plus connue (après celle, bien sûr, de Bonaparte). Deux choses donc, seulement. D’abord sa capacité d’évolution : d’administrateur « léger », comme le décrivent Furet et Richet, qui le mène à la prison à une pensée rigoureuse de la politique agricole ; d’anti-Robespierriste quand tout le monde est robespierriste, à robespierriste (dans un premier « front de gauche », pourrait-on dire, qui réconcilie post-mortem les héritiers de Marat, Danton, Hébert et Robespierre) quand tout le monde est devenu anti-robespierriste. Ensuite, ce qu’on pourrait appeler son « syndrome des Empereurs romains » : manifestement il ne pouvait pas finir autrement que mal, c’est-à-dire guillotiné (alors même que sous le Directoire, on répugnait à ce genre de spectacle et que l’hypocrisie bourgeoise préférait le bannissement et la mort lente dans ce qui seront les bagnes de la IIIe République – d’une bourgeoisie l’autre), mais il s’entêta. À noter cependant que dans cette conjuration, seuls deux conjurés furent décapités. Babeuf et Darthé (même Buonarotti fut épargné!). Ce qui fait dire à Furet et Richet, ceci couplé à d’autres données, que le péril babouviste n’en était pas vraiment un, mais qu’il a été instrumentalisé par le Directoire. Ce qui prouve surtout que la Révolution française a été une révolution fondamentalement bourgeoise, un (premier) séisme d’adéquation entre un état des choses financières et un état des choses politiques.