La vie militaire de Rémy Belleau

Dans l’ode XXIII du « Troisiesme livre », Ronsard s’étonne que son ami ait troqué les vers contre des armes, pour le duc de Guise. (Un poète soldat, comme le sera d’Aubigné, puis, plus tard, Lord Byron, comme le seront, souvent malgré eux, quelques jeunes gens de la Première Guerre mondiale : Siegfried Sassoons, Wilfred Owen, Rupert Brooke, Isaac Rosenberg…)

Tu as donques quitté Thalie
Pour les despouilles d’Italie,
Belleau, que ta main ne tient pas,
Qui t’armant sous le Duc de Guise,
Imagines de voir à bas
Les murailles de Naples prise.

J’eusse plustost pensé les courses
Des eaux remonter à leurs sources,
Que te voir changer aux harnois,
Aux piques et aux harquebuses,
Tant de beaux vers que tu avois
Receu de la bouche des Muses.

Après n’avoir rien trouvé sur Wikipedia (il va falloir y remédier), une recherche dans l’Histoire de la Pléiade d’Henri Chamard (1867-1952, spécialiste de la littérature de la Renaissance française, ouvrage de 1941) offre non seulement quelques précieuses informations, mais cette odelette citée dans une version où le premier sizain diffère sensiblement :

Donc, Belleau, tu portes envie
Aus dépouïlles de l’Italie,
Qu’encres vous ne tenez pas,
Et t’armant sous le duc de Guyse,
Tu penses voir broncher à bas
Les murailles de Naples prise.

Chamard souligne l’ironie de cette odelette, imitée d’Horace (Carmina, I, XXIX, que Laumonier commente dans Ronsard Lyrique, p.370), qui, dans la version des Odes, a été tempérée, passant à l’amertume. Ainsi, voilà le parcours de Belleau : « Depuis qu’il avait publié sa traduction d’Anacréon et ses Petites inventions, Belleau n’avait plus guère, semble-t-il, fait parler de soi. Quittant la vie strudieuse pour la vie militaire, pendant l’automne de 1556, il avait pris les armes afin d’accompagner le duc de Guise en Italie. Ronsard, un peu surpris de cette ardeur guerrière, avait plaisanté son ami dans une ironique odelette : (…). Mais, sans se laisser arrêter par cette douce raillerie, le traducteur d’Anacréon s’était enrôlé dans la cavalerie du marquis d’Elbeuf, frère cadet du duc de Guise. M. Eckhardt conjecture ingénieusement que Belleau, dans la circonstance, avait eu l’appui de son protecteur Chretophle de Choiseul, abbé de mureaux, dont le frère aînée, Jean de Choiseul, baron de la Ferté, de Lanques et d’Autreville, et qui signait Lanques tout court, était lieutenant de la compagnie d’ordonnance du marquis d’Elbeuf. Toujours est-il qu’après une absence de près d’une année (de décembre 1556 à octobre 1557), Belleau, chevau-léger, qui n’avait pu voir sans tristesse l’échec du duc de Guise devant Civitella, était revenu de sa campagne en rapportant moins d’impressions de l’Italie elle-même que de beaux souvenirs de sa vie militaire. » Une note apprend ici que le Hongrois Sandor Eckhardt (1890-1969) a reconstitué la « vie militaire de Belleau », 38-50, grâce à ses poèmes, et qu’il aurait pu rencontrer Du Bellay à Rome, mais qu’aucun des deux n’y fait mention dans ses poèmes. Le livre d’Eckhardt est disponible, océrisé mais non corrigé, sur le site archive.org à l’adresse suivante : https://archive.org/stream/remybelleausavie00eckhuoft/remybelleausavie00eckhuoft_djvu.txt. Le chapitre II est en effet consacré à cette année, dont la table des matières annonce : « I. L’expédition de Naples (1556—1557). Question de la participation de Belleau. Projets des Guises. Motifs du départ de Belleau. Belleau chevau-léger ? La descente de l’armée de Guise en Italie. A Rome : Belleau et Du Bellay. Campagne dans les Abruzzes. Défense de Tivoli et de Paliano. Retour en France. II. Un voyage sur mer (1566 ?). Témoignage de Belleau. Elbeuf général des galères. Combat naval : une rencontre avec les corsaires ? »