Sur les traces d’Ernest Dowson (1867-1900) ~ notes et quelques traductions

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           C’est par Arthur Symons qu’on découvre Ernest Dowson dont il a préfacé les œuvres poétiques, publiées après sa mort. On papillonne dans le recueil, mais ici ou là on se sent frémir et on est bientôt captivé : des accents verlainiens où couvent l’intensité et la douceur.

              Ce n’est là qu’un début.

             Il y a des coïncidences que les gens veulent interpréter comme des signes, mais qui ne sont que des tangentes dans le désordre des géométries. Les coïncidences se créent. On feuillette plus attentivement, puis la curiosité nous vient d’en savoir plus et on lit la préface de Symons.

            Ce n’était qu’un début, oui : avant de savoir où Ernest Dowson était né, on voit qu’il est mort à Catford le 23 février 1900 à 32 ans. Toute une résonance personnelle se met en branle. Ma nuit à Catford. L’odeur de Catford. Le calme, l’isolement aujourd’hui encore du quartier. Dowson est mort de tuberculose, autant dire d’avoir trop vécu. Il est enterré à Lewisham au Brockley and Ladywell Cemeteries. Il était né le 2 août 1867 à Lee, quartier du Sud-Est de Londres.

                L’affection est géographique.

               Symons a la plume facile. On aime son portrait de Dowson en alcoolique, en bagarreur, en vagabond, non pas un marginal, mais un homme qui préférait les marins aux poètes, les tavernes aux cafés littéraires (où il ne dédaignait pas aller de temps en temps : c’est l’écart qui crée l’intérêt) :

              « Indeed, that curious love of the sordid, so common an affectation of the modern decadent, and with him so genuine, grew upon him, and dragged him into more and more sorry corners of a life which was never exactly “gay” to him. His father, when he died, left him in possession of an old dock, where for a time he lived in a mouldering house, in that squalid part of the East End which he came to know so well, and to feel so strangely at home in. He drank the poisonous liquors of those pot-houses which swarm about the docks; he drifted about in whatever company came in his way; he let heedlessness develop into a curious disregard of personal tidiness. In Paris, Les Halles took the place of the docks. At Dieppe, where I saw so much of him one summer, he discovered strange, squalid haunts about the harbour, where he made friends with amazing innkeepers, and got into rows with the fishermen who came in to drink after midnight. At Brussels, where I was with him at the time of the Kermesse, he flung himself into all that riotous Flemish life, with a zest for what was most sordidly riotous in it. It was his own way of escape from life. »

            « En fait, cet amour curieux pour le sordide, affectation si commune chez le décadent moderne et chez lui si naïf, prit le dessus sur lui, et le porta toujours plus dans les coins désolés d’une vie qui n’a jamais été à vrai dire « gaie » pour lui. Son père, quand il mourut, le laissa en possession d’un vieux dock, où il vécut un temps dans un maison moisie, dans cette partie glauque de l’East End qu’il fut amené à connaître si bien, et à s’y sentir si étrangement chez soi. Il but les liqueurs empoisonnées de ces mauvaises maisons qui pullulent autour des docks ; il s’y laissa aller en compagnie de n’importe qui croisait sa route ; il laissa l’insouciance se changer en un curieux mépris de l’hygiène personnelle. À Paris, Les Halles prirent la place des docks. À Dieppe, où j’ai vu tant de lui un été, il découvrit les repaires étranges, sordides autour du port, où il devint ami avec d’étonnants aubergistes, et se bagarra avec les pêcheurs qui venaient là pour boire après minuit. À Bruxelles, où j’étais avec lui à l’époque de la Kermesse, il se jeta lui-même entièrement dans toute cette vie flamande tapageuse, avec un goût pour ce qu’il y avait de plus sordidement déchaîné là-dedans. C’était sa manière à lui d’échapper à la vie. »

              Sur sa clausule, Symons trahit une fainéantise d’époque : cet élan idéaliste que tout le monde partage parce que tout le monde, au fond, est fainéant. Ce n’était pas sa manière d’échapper à la vie, évidemment, mais bien au contraire de s’y inscrire, de se sentir le plus vivant possible, le plus puissant possible qui poussait Dowson à de tels comportements.

               Que dire de plus de Dowson ? Si on veut en savoir plus, qu’on aille chercher. En attendant, on pourra lire ces quelques traductions.

*

 Summa Brevis Spem nos vetat incohare longam

La brièveté de la vie nous interdit de concevoir un long espoir – Horace (Ode 4)

THEY are not long, the weeping and the laughter,

            Love and desire and hate:

I think they have no portion in us after

             We pass the gate.

They are not long, the days of wine and roses:

             Out of a misty dream

Our path emerges for a while, then closes

             Within a dream.

Ils ne sont pas longs, les pleurs et les rires,
     Amour et désir et haine:
Je pense qu’ils n’ont plus part en nous après
     Que nous avons passé la porte.

Ils ne sont pas longs, les jours du vin et des roses:
     Horsd’un rêve brumeux
Notre chemin émerge un instant, puis se fane
     Dans un rêve.

*

A Coronal

With his songs and her days to his lady and to love

Violets and leaves of vine,
Into a frail, fair wreath
We gather and entwine:
A wreath for Love to wear,
Fragrant as his own breath,
To crown his brow divine,
All day till night is near.
Violets and leaves of vine
We gather and entwine.

Violets and leaves of vine
For Love that lives a day,
We gather and entwine.
All day till Love is dead,
Till eve falls, cold and gray,
These blossoms, yours and mine,
Love wears upon his head,
Violets and leaves of vine
We gather and entwine.

Violets and leaves of vine,
For Love when poor Love dies
We gather and entwine.
This wreath that lives a day

Over his pale, cold eyes,
Kissed shut by Proserpine,
At set of sun we lay:
Violets and leaves of vine
We gather and entwine.




Une Couronne

Avec ses chansons et ses jours à sa dame et à l’amour

Violettes et feuilles de vigne,
En une frêle, belle couronne
Nous recueillons et tressons :
Une couronne pour l’Amour à vivre,
Parfumée comme son propre souffle,
Pour couronner son front divin,
Tout le jour jusqu’à ce que la nuit approche.
Les violettes et de feuilles de vigne
Que nous recueillons et tressons.

Violettes et feuilles de vigne
Pour l’Amour qui vit un jour,
Nous recueillons et tressons.
Tout le jour jusqu’à ce que l’amour meure,
Jusqu’à ce que le soir tombe, froid et gris,
Ces fleurs, à toi et à moi,
L’Amour les portera sur la tête,
Les violettes et feuilles de vigne
Que nous recueillons et tressons.

Violettes et feuilles de vigne,
Pour l’Amour quand le pauvre Amour meurt
Nous recueillons et tressons.
Cette couronne qui vit un jour
Sur ses pâles, ses yeux froids,
Embrassés fermés par Proserpine,
Au coucher du soleil, nous déposerons :
Les violettes et feuilles de vigne
Que nous recueillons et tressons.

*

Villanelle of Sunset 

 Come hither, Child! and rest:
   This is the end of day,
Behold the weary West!

    Sleep rounds with equal zest
   Man’s toil and children’s play;
Come hither, Child! and rest.

    My white bird, seek thy nest,
   Thy drooping head down lay:
Behold the weary West!

    Now are the flowers confest
   Of slumber: sleep, as they!
Come hither, Child! and rest.

    Now eve is manifest,
   And homeward lies our way:
Behold the weary West!

    Tired flower I upon my breast,
   I would wear thee alway:
Come hither, Child! and rest;
Behold, the weary West!

Villanelle du Coucher du Soleil

Viens tout près, Enfant ! et repose-toi :

C’est la fin de la journée,

Contemple l’Ouest las !

Le sommeil embrasse avec un zèle égal

Le labeur de l’homme et le jeu de l’enfant ;

Viens tout près, Enfant ! et repose-toi :

Mon blanc oiseau, cherche ton nid,

Ta tête épuisée penche et tombe :

Contemple l’Ouest las !

Maintenant ce sont les fleurs qui tombent

de sommeil : dors, comme elles font !

Viens tout près, Enfant ! et repose-toi.

Maintenant le soir s’est manifesté,

Et le retour à la maison nous montre le chemin :

Contemple l’Ouest las !

Fleurs fatiguées, moi sur ma poitrine,

Je vous porterais à tout jamais :

Viens tout près, Enfant ! et repose-toi ;

Contemple l’Ouest las !

*