J’avais
proposé une série d’une dizaine de poèmes, et trois seulement ont
été retenus, de justesse ! L’ensemble (qui fera l’objet d’une
publication sérigraphiée avec des dessins – peut-être des
gravures en lino – d’Illustre feccia) a été composé selon une
expérimentation inspirée, en partie, des « sheets of
sounds » de Coltrane. Il
s’agit de débobiner entièrement, jusqu’à extinction du souffle,
tout ce qui est connu dans une première expression qui sert de
« thème ». Les images appellent d’autres images, autant
que les sons appellent d’autres sons, etc
– souvent en même temps : il y a, dans ces « équations
différentielles » (si on veut entendre par là l’ensemble des
combinaisons qui se créent, non seulement à l’intérieur de chaque
vers, mais aussi entre les vers), quelque chose du derviche ou de la
bacchante. Et qui s’apparente
à une ascèse, puisque c’est
dans la concentration même que se libèrent les forces les plus
stimulantes, les plus riches. Ce sont des poèmes de l’improvisation
travaillée, de l’ascèse dionysiaque.
Dans
la même veine, j’avais proposé un poème pour
le numéro 2 de
la revue Revu (http://revularevue.wixsite.com/revu),
qui a été refusé (les revuistes ne conçoivent que trop rarement,
hélas, leur publication en réseau avec d’autres publications). Il y
avait un thème à suivre, « Trottoir, la ville à nos pieds »,
et j’avais composé pour l’occasion le texte suivant
(que j’aime bien toujours) :
le
rot le trop le trottoir en cadence dans
le
cadre de l’horloge qui sonne
et résonne
au
quart et à la demi brune remonte à la jugulaire
au
cou la corde rue de la Vieille Lanterne ou au lampadaire
comme
à la blonde à pieds qui passe et repasse avec ses ourlés
à
l’appel du hasard dont le panel sur ce trottoir
arraisonne
ta misère – c’est la grille de fer forgé, la ferraille du sexe
la
fille à se damner qui soigne sa tristesse à coups de bitures sur le
macadam
macabre
macchab qui creuse son trou dans les catacombes
en
grignotant chaque seconde un grain de notre folie vitale
mais
c’est un feu de joie aussi au bout de la cigarette
les
grandes eaux remontent aux orgues de ta gorge
pour
envahir les deux mondes, ceux des vivants et ceux des morts
dont
nous serons le fantôme et l’image au petit matin ou à midi
à
marteler hagard la gueule grande et petite aiguilles jusqu’au soir
qui
n’en
a jamais fini
J’avais
assorti l’envoi de quelques explications :
« Dans
ce poème, spécialement composé pour Revu, je poursuis une
expérimentation poétique dont 3 autres exemples vont paraître dans
le numéro 69 de Traction-Brabant.
Le
thème est particulièrement sympathique : le trottoir m’est
tout de suite apparu lié à la nuit.
Monde
de la nuit, avec ses ivresses, ses personnages, ses cauchemars et ses
extases ;
c’est
un bal de joie et une danse macabre.
On
marche sur le trottoir comme une horloge martèle chaque seconde.
Le
poème se déplie selon un mécanisme d’associations de mots
(induites par la culture, les sonorités, un goût personnel, le
hasard, etc) et des apparitions souveraines d’images (des
« visions », comme le rappelle la référence à Nerval,
« rue de la Vieille Lanterne »).
J’espère
qu’il vous plaira. »
C’était
en juillet 2016.
Trois
poèmes, donc, dans le Traction-Brabant d’août 2016. C’est le 69e.
Ce qui en fait, dans le monde de la micro-édition (et de l’édition
maison par nature éphémère), une des revues les plus anciennes.
Grâce au travail, à la passion et à la constance de Patrice
Maltaverne.
La
revue, il faut bien l’avouer, est très moche. Aucun sens de la mise
en page, de la typographie, et le massicotage semble être une notion
inconnue de l’éditeur. Les images, surtout, en noir et blanc, sont
immondes.
Le
ton de la revue a quelque chose de dérangeant : presque malsain
à force d’être aigri. Et d’une logique éthique plus que douteuse
(« Mais ne vous faites pas trop d’illusions : si vous ne
souhaitez pas trop lire les autres (même avec Internet), les autres
ne vous liront guère non plus ! »).
Mais
on y découvre de belles choses, voire des vraies perles, qui sauvent
l’ensemble : Charlotte Mont-Reynaud, Marie Françoise Ghesquier,
Sébastien Kweik pour les textes, et Patrice Vigues (dessin de
couverture), Françoise Caput, Jacques Cauda pour les illustrations.