3 poèmes dans le n°69 de Traction-Brabant (août 2016)

J’avais proposé une série d’une dizaine de poèmes, et trois seulement ont été retenus, de justesse ! L’ensemble (qui fera l’objet d’une publication sérigraphiée avec des dessins – peut-être des gravures en lino – d’Illustre feccia) a été composé selon une expérimentation inspirée, en partie, des « sheets of sounds » de Coltrane. Il s’agit de débobiner entièrement, jusqu’à extinction du souffle, tout ce qui est connu dans une première expression qui sert de « thème ». Les images appellent d’autres images, autant que les sons appellent d’autres sons, etc – souvent en même temps : il y a, dans ces « équations différentielles » (si on veut entendre par là l’ensemble des combinaisons qui se créent, non seulement à l’intérieur de chaque vers, mais aussi entre les vers), quelque chose du derviche ou de la bacchante. Et qui s’apparente à une ascèse, puisque c’est dans la concentration même que se libèrent les forces les plus stimulantes, les plus riches. Ce sont des poèmes de l’improvisation travaillée, de l’ascèse dionysiaque.





Dans la même veine, j’avais proposé un poème pour le numéro 2 de la revue Revu (http://revularevue.wixsite.com/revu), qui a été refusé (les revuistes ne conçoivent que trop rarement, hélas, leur publication en réseau avec d’autres publications). Il y avait un thème à suivre, « Trottoir, la ville à nos pieds », et j’avais composé pour l’occasion le texte suivant (que j’aime bien toujours) :

le rot le trop le trottoir en cadence dans
le cadre de l’horloge qui sonne et résonne
au quart et à la demi brune remonte à la jugulaire
au cou la corde rue de la Vieille Lanterne ou au lampadaire
comme à la blonde à pieds qui passe et repasse avec ses ourlés
à l’appel du hasard dont le panel sur ce trottoir
arraisonne ta misère – c’est la grille de fer forgé, la ferraille du sexe
la fille à se damner qui soigne sa tristesse à coups de bitures sur le macadam
macabre macchab qui creuse son trou dans les catacombes
en grignotant chaque seconde un grain de notre folie vitale
mais c’est un feu de joie aussi au bout de la cigarette
les grandes eaux remontent aux orgues de ta gorge
pour envahir les deux mondes, ceux des vivants et ceux des morts
dont nous serons le fantôme et l’image au petit matin ou à midi
à marteler hagard la gueule grande et petite aiguilles jusqu’au soir qui
n’en a jamais fini

J’avais assorti l’envoi de quelques explications :
« Dans ce poème, spécialement composé pour Revu, je poursuis une expérimentation poétique dont 3 autres exemples vont paraître dans le numéro 69 de Traction-Brabant.
Le thème est particulièrement sympathique : le trottoir m’est tout de suite apparu lié à la nuit.
Monde de la nuit, avec ses ivresses, ses personnages, ses cauchemars et ses extases ;
c’est un bal de joie et une danse macabre.
On marche sur le trottoir comme une horloge martèle chaque seconde.
Le poème se déplie selon un mécanisme d’associations de mots (induites par la culture, les sonorités, un goût personnel, le hasard, etc) et des apparitions souveraines d’images (des « visions », comme le rappelle la référence à Nerval, « rue de la Vieille Lanterne »).
J’espère qu’il vous plaira. »
C’était en juillet 2016.

Trois poèmes, donc, dans le Traction-Brabant d’août 2016. C’est le 69e. Ce qui en fait, dans le monde de la micro-édition (et de l’édition maison par nature éphémère), une des revues les plus anciennes. Grâce au travail, à la passion et à la constance de Patrice Maltaverne.
La revue, il faut bien l’avouer, est très moche. Aucun sens de la mise en page, de la typographie, et le massicotage semble être une notion inconnue de l’éditeur. Les images, surtout, en noir et blanc, sont immondes.
Le ton de la revue a quelque chose de dérangeant : presque malsain à force d’être aigri. Et d’une logique éthique plus que douteuse (« Mais ne vous faites pas trop d’illusions : si vous ne souhaitez pas trop lire les autres (même avec Internet), les autres ne vous liront guère non plus ! »).
Mais on y découvre de belles choses, voire des vraies perles, qui sauvent l’ensemble : Charlotte Mont-Reynaud, Marie Françoise Ghesquier, Sébastien Kweik pour les textes, et Patrice Vigues (dessin de couverture), Françoise Caput, Jacques Cauda pour les illustrations.