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Roberto Deidier par Dino Ignani
Solstizio, paru chez Mondadori l’année dernière (juin – justement – 2014), est un recueil qui demande une lente et longue appréhension. Comme un apprivoisement. Non pas qu’il soit difficile ou hermétique, mais la minutie et l’abondance de cette poésienécessitedu temps et de l’attention.
Et c’est bien cette apparente contradiction entre minutie et abondance, entre netteté et profusion, qui explique pour nous le titre du recueil (sur lequel Roberto Deidier est revenu dans un article de son blog) : Sosltice est un équilibre au sommet, ce qu’on pourrait définir comme unclimax.
Exigence et équilibre président donc à la réception de ce recueil, sur lequel nous aurions beaucoup à dire : mais il nous paraissait important, même sans présentation satisfaisante encore, de diffuser quelques extraits en français, conscients qu’il faudrait (qu’il faudra) en traduire bien d’autres pour donner une vision plus claire de la prolixité de l’inspiration.
Roberto Deidier est né à Rome en 1965 et vit entre Rome et la Sicile où il enseigne. Il a publié Il passo del giorno (1995, qui a obtenu le prix Mondello du premier recueil), Libro naturale (1999), Una stagione continua (2002) et Il primo orrizonte (2002).
C’est sous les auspices de Dario Bellezza et d’Amelia Rosselli que Roberto Deidier entre en poésie –et que noussommes nous-mêmes rentrés en contact.Le terme de Solstice, qui m’est – au pluriel – si cher, a fini de me rapprocher de lui.
*
Come avrebbe potuto non voltarsi…
In sogno erano apparse le valigie
Dei morti, lasciate in qualche stazione :
Quelle dei vivi le aveva pensate
Come un’improbabile carovana
Confusa nella sabbia infinita
In cammino verso un’altra città.
Non ci sarebbero stati più vivi,
Neppure lui rivolto alla rovina :
Scrutare nel presente era lo stesso
Che fissare in faccia la distruzione.
Si era fermato, lo sguardo all’indietro,
Il passo avanti verso l’orizzonte,
Un’istantanea senza redenzione.
Comment aurait-il pu ne pas se retourner…
En rêve étaient apparues les valises
Des morts, abandonnées dans une gare :
Celles des vivants il les avait pensées
Comme une improbable caravane
Indécise dans le sable infini
En chemin vers une autre ville.
Il n’y aurait plus eu de vivants,
Pas même lui retourné vers la ruine :
Scruter dans le présent était pareil
Que fixer en face la destruction,
Il s’était arrêté, le regard à l’intérieur,
Le pas en avant vers l’horizon,
Un instantané sans rédemption.
*
La mano libera rapprende
L’azzurro sulle voci del quartiere,
Scopre il nudo tra il cielo e la strada,
Le crepe negli sguardi dei passanti.
Adesso so quanto folla dimora
Nella mia inerzia. Ancora
Mi sento respirare sotto il sale.
La main libre coagule
Le bleu sur les voix du quartier,
Découvre le nu entre le ciel et la route,
Les crevasses dans les regards des passants.
Maintenant je sais à quel point la foule réside
dans mon inertie. Encore
Je me sens respirer sous le sel.
*
VIII
Rabbrividì pensando che davvero
Minacciava di mancare al suo pubblico
Mai più salendo su un solo trapezio.
Lo seguivo con lo sguardo, insistevo
Che due trapezi erano meglio d’uno,
Ne avrebbe guadagnato lo spettacolo.
Ma lo vidi già scosso dai singhiozzi.
Gli chiesi allora cos’era accaduto,
Al suo silenzio tentai una carezza
E spaventato m’accostai stringendo
Al mio il suo viso e mi bagnò il suo pianto.
Non si calmava : Come faccio a vivere
Solo con questa sbarra tra le mani ?
VIII
Je frémis en pensant que vraiment
Il menaçait de manquer à son public
En ne montant jamais plus sur un trapèze.
Je le suivais du regard, j’insistais
Parce que deux trapèzes sont mieux qu’un,
Le spectacle y aurait gagné.
Mais je le vis déjà secoué par les sanglots.
Je lui demandai alors qu’est-ce qui était arrivé.
À son silence je tentai une caresse
Et apeuré je m’approchai en serrant
Contre le mien son visage et ses pleurs me baignèrent.
Il ne se calmait pas : Comment je vais faire pour vivre
Seul avec cette barre entre les mains ?
*
Davide e Golia
Avrei potuto giurarlo, perché era vero.
Non lo sapevo, no, non lo sapevo
Che fosse alto da oscurarmi il sole
E grande, tra le sue braccia la rabbia
Era un cielo di comete silenziose
E ogni muscolo un paesaggio
E il corpo una nazione.
La fronte faceva ombra sugli occhi
E sembrava che guardasse da ogni parte
Con quelle orbite oscure
Come la morte, come ogni morte.
Ma guardava solo me
Con l’aria di chi attende la sua preda.
Era deciso nel ruolo
Che gli era stato dato.
E io non potevo essere altro.
Una scena formale di poche mosse,
Le mie. Non si sarebbe mai spostato
Dal luogo in cui s’illudeva
Di nascondersi a se stesso, alla preda
Come il leopardo tra i cespugli.
Chissà cosa pensò quando avanzai
Per fermarmi solo dopo pochi passi:
Conta, mi dicevano i miei,
E ad ogni numero accorcia la distanza.
Ma era al tetto della fronte che puntavo,
A quella cima inespugnata.
Quando roteai la fionda
Capii che quella notte si stava spegnendo
Con tutta la ricchezza del suo cielo,
Per sempre. Lanciai la pietra senza pensare.
Cadere fu il suo ultimo battito.
Solo quando fu a terra e oltre
Già s’alzava la polvere della fuga
Mi distesi accanto a lui
Per vedere fin dove gli arrivavo.
J’aurais pu le jurer, parce que c’était vrai.
Je ne le savais pas, non, je ne le savais pasQu’il était grand à occulter le soleil
Et immense, entre ses bras la rage
Était un ciel de comètes silencieuses
Et chaque muscle un paysage
Et le corps une nation.Sonfront faisait de l’ombre sur ses yeuxEton aurait dit qu’il regardait de tout côté
Avec ces orbites obscures
Comme la mort, comme chaque mort.
Mais il ne regardait que moi
Avec l’air de celui qui attend sa proie.
Il était déterminé dans le rôle
Qu’on lui avait donné.
Et moi je ne pouvais pas être autre chose.
Une scène formelle de quelques mouvements,Les miens. Il n’aurait jamais bougé
du lieu où il croyait
Se cacher à lui-même, à la proie
Comme le léopard dans les buissons.
Qui sait ce qu’il pensa quand je marchai
Pour m’arrêter après seulement quelques pas :
Compte, me disaient les miens,Et à chaque nombre la distance diminuait.
Mais c’était le sommet du front que je visais,Cette cime inexpugnable.
Lorsque j’ai fait tournoyer la fronde
J’ai réalisé que cette nuit-là se fanait
Avec toute la richesse de son ciel,
Pour toujours. J’ai lancé la pierre sans réfléchir.
Tomber fut son dernier battement de cœur.
Une fois qu’il fut à terre et au-delà
Déjà s’élevait la poussière de la fuite
Je me suis couché à côté de lui
Pour voir jusqu’où je lui arrivais.
*
Non avevo mai potuto capire
Di che pasta fosse fatto l’amore.
Per me era solo una scia di parole
E di note intorno ai bivacchi.
Ero certo della mia immunità,
Io, il solo uomo a non poter salire
Sulle spalle degli altri.
Fu facile convincermi che facevo
Paura. Mi misero in prima fila
Ad aspettare l’orizzonte. Immaginavo
Un piccolo esercito da calpestare,
Invece mi si fece incontro lui.
Esile da non poterlo mettere a fuoco
E senza età. Fu questo a tradirmi,
Il voler capire. Chi fosse
E perché m’innamorava
Come uno specchio confonde i pensieri
E li deforma, come un’eclissi
Restituisce il giorno alla notte.
Non avrei potuto fare nulla.
Quando venne a sdraiarsi accanto a me,
Respiravo ancora.
Je n’avais jamais pu comprendre
De quel bois était fait l’amour.
Pour moi, c’était juste unetraînée de motsEt de notes autour des bivouacs.
J’étais sûr de mon immunité,Moi, le seul homme à ne pouvoir monter
Sur les épaules des autres.
Il a été facile de me convaincre que je faisais
Peur. Ils m’ont misau premier rangPourattendre l’horizon. J’imaginais
Une petite armée à fouler du pied,En revanche je suis allé à sa rencontre.Un exil à ne pas pouvoir mettre à feu
Et sans âge. C’est ce qui m’a trahi,
La volonté de comprendre. Celui qu’il a été
Et pourquoi il était amoureux de moi
Comme un miroir confond les penséesEt les déforme, comme une éclipse
Restitue le jour à la nuit.
Je n’aurais rien pu faire.
Quand il est venu s’allonger à côté de moi,Je respirais encore.
*
IX
Perché di te non m’arriva neppure
Il fiato d’un ricordo, l’acqua scura
Delle tue profezie scritte a matita
Come in una cartolina dal nord
Nel paesaggio di vetro si disperde.
Non ho mappe per venire a cercarti
Né luoghi o date, timbri di partenza.
IX
Parce que de toi il ne m’arrive même pas
Le souffle d’un souvenir, l’eau sombre
De tes prophéties écrites au crayon
Comme dans une carte postale du nord
Dans le paysage de verre on se disperse.
Je n’ai pas de carte pour venir te chercher
Ni de lieux ou de dates, timbres de départ.