Lille en vers burlesques (1731)

Nous reproduisons ici les trois pièces qui composent le petit recueil Lille en vers burlesques imprimé dans cette ville en 1731 par l’éditeur G.E. Vroy. Sans doute la troisième pièce – “Les Promenades de l’Esplanade” – est la plus réussie, et semble être d’une main différente des deux autres (ce que l’orthographe semble aussi confirmer). Fernand Carton suggère (dans l’introduction des oeuvres de François Cottignies, p. 29, 1965) que ces petites pièces satiriques auraient été composées par l’éditeur André-Joseph Panckoucke (1703-1753), mais ce n’est là qu’un sentiment sans fondement. Ce qui est certain, c’est l’influence de Boileau et la volonté de faire entrer Lille dans le giron de la langue française : aucun terme dialectal et un éloge appuyé de la culture française (avec des notes explicatives pour les principales références culturelles).

Nous avons conservé l’orthographe et la ponctuation, même si celle-ci est parfois aléatoire.

RKG

I – Les embarras du jour de l’an

II – Les mœurs des Lillois anciens et modernes (ou Lille civilisée sous la domination française, par l’établissement des académies.)

III – Les Promenades de l’esplanade

*

Avertissement

Si le Public reçoit favorablement ce que j’ai l’honneur de lui présenter, on pourra le regaler de tems en tems de pareilles Pieces, en faisant passer en revûë toute la Ville, selon le tems et les saisons. Qu’il se tienne pour averti, que les Portraits y seront generaux ; qu’on n’est point d’intention de peindre qui ce soit en particulier. Et si le pure hazard fait que quelque’un s’y reconnoit, ce sera sa faute, s’il se fache, en montrant mal à propos, qu’il a les deffauts qu’on reprend en badinant dans les tous les hommes en general.

Suspicione si quis errabit sua,
Et rapiet ad se quod erit commune omnium,
Stulte nudabit animi concientiam,
Neque enim norater singulos mens est mihi
Vetrum ipsam vitam et mores hominum ostendere.

Phaedry Epilogo libri tertii.

*

Les embarras du jour de l’an

J’entreprens de chanter cette Ville si belle,

Qui toûjours à ses Rois fut constante et fidelle ;

Et aïant éprouvé plus d’un fâcheux revers,

Rendit son nom fameux à ce vaste Univers.

Nourrissier des neuf Soeurs, arbitre du Permesse,

Viens donner à ma Muse et le tour et l’adresse

De bien peindre avec art tous nos Originaux,

De faire de nos mœurs de fidels Tableaux.

Quel cahos aujorud’hui trouble toute la Ville,

Quel demon infernal agite ceux de Lille :

Au lever du Soleil, les Carrefours sont pleins

Et de tous nos coureurs, quels sont donc les desseins ?

De Personne aujourd’hui l’on n’entend le langage,

On vous fait sans parler un signe de visage,

Vous disant tout au plus, les compliments du jour :

C’est donc sans s’expliquer que l’on se fait la cour ?

Nôtre pavé gemit de quantité de Rosses,

Qui trainent sur leur pas les antiques Carosses :

C’est où le petit Maître étale avec splendeur,

La sotte vanité qui regne dans son cœur.

Son Pere eut-il jadis porté sacq ou mandille,

Son argent aujourd’hui le mene par la Ville :

A sa cupidité se laissant entrainer,

Chacun dans ce beau jour veut se faire trainer.

Moi, qui tâche à grimper au sommet du Parnasse,

Je n’oserois monter sur le Cheval Pegaze,

Car ce coursier retif pourroit bien dans l’instant,

Rudement me rüer dans le bourbeux étang.

Muse, l’on te diroit, à ton aise gazouille,

Aprens à coacer ainsi que la grenouille.

Suivant des gens de pied le trop pénible cours,

Suant malgré le froid, avec ardeur je cours :

En passant, celui-ci me pousse avec rudesse,

L’autre, d’un coup de pied sans penser me caresse :

Bientôt un étourdi passant me jette à bas,

L’un vient tomber sur moi, marchant dessus ses pas.

Nous nous levons tous deux en secoüant la tête,

Disant entre les dents, peste soit de la bête :

Et pour nous essuier, nous mettant à l’écart,

Que d’objets differens je vois de toute part :

Déjà trois fois j’ai vû la Mere avec les Filles,

Dont l’aspect aux passans, dit qu’elles sont nubiles.

Passent dans ce tracas des Carosses pompeux,

Dont l’or et la dorure éblouissent les yeux,

Où l’on voit des Dondons qu’on peut nomer deësses,

Avec faste montrer l’excés de leurs richesses.

Suivent à leur costé des bigarez faquins,

De maison en maison portant des billetins.

Alte-là, s’il te plaît, mon amusante muse,

Nombber ces gens faquins ; je pense, tu t’abuse,

Peux-tu donc ignorer que tous ces messieurs-là

Sont des gens estimez du Prince et de l’Etat ?

Puisqu’on peut affirmer, sans craindre qu’on s’écarte

Qu’Emplois, Fondations, sont pour les Rois de carte.

Combien en voions-nous trancher les gros Seigneurs

Lesquels ont commencé par porter les couleurs ?

Et ton pauvre Poëte, avec ton Hipocraine,

Montre bien qu’il a bû de la sotte fontaine ;

Et le métier qu’il fait, est le métier d’un sot,

Puis que bien rarement il peut manger du rot ;

Dans le tems que l’on voit cette illustre canaille,

De poulets et Chapons toûjours faire ripaille.

Voilà midi sonnant, il faut songer à Dieu :

Voici comme en ce jour, on le sert en ce lieu.

A douze heures l’on court à la derniere Messe,

Pour entrer à l’Eglise, on se pousse, on se presse ;

Et le Temple desert depuis le grand matin,

Dans un unique instant de gens se trouve plein,

Un autel ambulant, paré par artifice,

Une femme coquette arrive au Sacrifice,

Et attirant sur elle et les coeurs et les yeux,

Elle fait oublier le Souverain des Dieux.

De méme qu’un vaisseau sur la liquide plaine,

Poussé de Boreas par la picquante haleine,

Avec rapidité passe au travers des eaux,

Et se trace un chemin en divisant les flots :

Ainsi pour son respét tout le monde se range,

Ou plûtot la voïant un chacun se dérange :

Et montrant Padouleux1 par son vertu-gain,

Elle fait le portrait d’un fameux baladin :

Lors qu’à la regarder tout le monde s’empresse ;

Avec étonnement on voit finir la Messe,

Sans remercier Dieu, on se pousse, on s’enfuit,

Ainsi que des Soldats que l’ennemi poursuit.

Chevalier et Mouvaux2 par leur rare éloquence,

Ont beau, dans ce saint Jour précher la pénitence,

Disant qu’il faut offrir à l’aimable Sauveur,

Pour avoir un bon An, les premices du cœur :

Que le divin Jesus, pour l’homme miserable,

En ce jour répandit de son Sang adorable,

Et qu’aux barres joüer, c’est se mocquer des gens,

Et se faire passer pour des extravagans.

Mais, ils ont beau précher, ce n’est point que je raille,

Si l’on préche aujourd’hui, l’on préche la muraille.

Exceptez quelques chiens que les gens trop pressez,

En les foulant aux pieds, dans l’Eglise ont chassez.

Tout trote dans ce jour, ma raison n’est pas louche,

Et l’on voit les Chevaux le foin à la bouche,

Sortir de la Maison avec empressement,

Qu’un Cocher sans pitié foüete rudement.

Aprés quelque repos, le grand bruit recommence,

Et l’on entend crier, Cocher, avance, avance :

Ce grand charivari qui nous vient entonner,

Fait qu’à peine on pourroit entendre Dieu tonner.

Aux portes des Maisons se tiennent des Servantes,

Des Dames de carreau, des aimables Suivantes,

Recevant des Billets de ces gens de couleurs,

Qu’on prendroit aujourd’hui pour des Operateurs,

Donnant des Billetins pour vanter leur remede,

Ils n’oseroient parler du mal qui les possede,

Car ils n’ont point le tems de leur faire l’amour,

Ils ont trop de travail, et trop court est le jour.

De ces petits Billets, quelle est donc l’éloquence ?

Sont-ce des complimens, des vers pleins d’élegance,

Des vœux partant du cœur ? non, rien moins que cela,

De simples Noms écrits causent ce tracas-là.

Et si l’on se parloit, on auroit patience,

On pourroit excuser sa faute ou son offence,

Et se reconcilier avec ses ennemis,

Par des soûmissions devenir bons amis :

Mais le seul nom écrit de Monsieur ou Madame,

Peut-il ôter le fiel qui regne dans nôtre ame ?

Hélas ! quand on se parle, on n’en agit pas mieux,

On n’offre bien souvent que d’hipocrites vœux :

Tel vous voit dans un poste avec des yeux d’envie,

Du baiser de Judas vous donne la copie.

Tel souhaite un bon An à son Oncle aux Ducats,

Qui pour les posseder voudroit voir son trépas.

Où me porte aujourd’hui ma verve trop caustique ?

Ma Muse, arrête-là ta course satirique,

Nous approchons le soir, je m’en vais chez Deflain,

Où l’on trouve bon feu, bonne queute et bon Vin,

Et cét Hôte gaillard avec sa corpulance.

Ne paroît point fâché d’avoir nôtre finance.

*

Les Moeurs des Lillois

anciens et modernes,

ou Lille civilisée sous la domination françoise, par l’établissement des académies.

Favoris bien-aimez des Filles de memoire,

Qui rendez cette Ville illustre dans l’histoire,

Recevez, s’il vous plaît, l’hommage de mes vers,

J’entreprens de chanter nos mœurs et les Concerts.

C’est le fruit de vos soins, c’est vôtre digne ouvrage ;

Cet établissement vous donne l’avantage

De pouvoir démentir le sobriquet malin,

Qui dit que le Lillois de folie est atteint ;

Et que dans ce séjour, il n’est point de Famille,

Sans insensé garçon, sans une sotte Fille.

Quand Autriche3 accablé de sa propre grandeur,

Laissoit ces beaux Païs en proie au Gouverneur ;

Que les Immunitez qu’on trouvoit aux Eglises,

Autôrisoient le crime, et fomentoient les vices,

L’on ne voioit ici que vols, assassinats,

Qu’homicides cruels, qu’infames scelerats.

Le Roi qui commandoit l’un et l’autre hemisphere,

Ignoroit ses Sujets, resident en Ibere4.

Ici ces Vice-Rois de leur autôrité,

Aux plus grands criminels vendoient l’impunité ;

Au seul éclat de l’Or leur cœur étant propice,

On les voioit lier les bras à la justice.

Alors nos jeunes gens en caressant Bachus,

Negligeoient le beau sexe, et méprisoient Venus :

Timides et honteux, n’aiant point d’hardiesse,

On les voioit rougir auprés d’une Maîtresse :

Si le Vin quelquefois les rendoit amoureux,

Ils n’avoien pour soupirs que des hoquets vineux :

Et toûjours les Parents faisoient le mariage,

Presque sans se connoître on entrait en ménage,

Non point sans consulter Prêtres, Religieux,

Car on ne faisoit rien d’importance sans eux,

Pourquoi le froc altier disposant de nos Filles,

Prétendoit dominer dans toutes les Familles,

Lors que le Grand LOUIS5 faisant valoir ses droits,

A soumis cette Ville à ses aimables Lois.

Il est vrai que l’on fit un peu de resistence,

Mais contre un si grand Prince il n’est point de défense :

Lors tout changea de face, on vit le criminel

Arraché de l’Église aux pieds du saint Autl.

Tout fut en asseurance, et l’on punit le crime,

Ceux qui le commettoient en furent la victime :

L’on fit des Chevaliers nommez du cordon gris,

L’on ne pardonna point à ceux qui furent pris.

Le beau Sexe admira la Nation françoise,

Pour des gens si polis, conçût de la tendresse :

Les Parens souffletez par certains Directeurs,

Qui voioient les François avec beaucoup d’horreurs

Et les recomparoient en chaire aux crocodilles,

En suivant leur conseil faisoient cacher leurs Filles :

Mais il n’est point d’Agnès, quand il s’agit d’amour,

Ce Dieu méme au plus sot inspire plus d’un tour ;

Plus d’une à son amant se livrant tout entiere,

Contracta des hymens que nous dépeint Moliere.

Le Peuple cependant, se voiant caressé,

Par leurs civilitez, il s’est apprivoisé.

Souvent Louis le Grand, ce magnanime Prince,

S’est montré dans leurs murs à toute la Province,

Son bon air, ses bontez bien plus que sa valeur,

Des Lillois, des Flamends, lui gagnerent le cœur.

Il eut soin d’agrandir et d’augmenter la Ville,

Qui devint des Guerriers et des Mues l’azile ;

Et tous nos jeunes Gens en se moulant sur eux,

Sçûrent comme on soupire auprés de deux beaux yeux

On vit dessous les loix de l’aimable Talie6,

Se former de concerts plus d’une Académie,

Où l’air retentissoit des sons harmonieux,

De Lamberts, de Lully7, de ces Auteurs fameux,

Dont les noms sont gravez au temple de memoire,

De France et d’Italie embellient l’histoire,

La fontaine des sots changée en Helicon,

Fit d’un Menestrier un habile Apollon :

En peu de temps, enfin, Lille devint aimable,

Tout s’est civilisé, même jusqu’à la Table.

Parurent sur la Scene avec leur majesté,

Ces Heros que Corneille et Racine8 ont vanté :

C’est là que l’on apprit à répandre des larmes,

Voiant ce que l’histoire a de tendre et de charmes,

Dans les fidels portraits qu’expose au Spectateur,

Des Barons, des Quinaults9, le digne imitateur.

Sous les loix de Louis s’étoient passé huit lustres,

Où ce Prince rendit des actions illustres,

En forçant des Remparts, battant ses ennemis,

Leur accordant la paix en les aiant soumis :

Quand l’Euope allarmée en voiant sa puissance,

Que l’Espagne pour Roi nommoit le Sang de France,

Tout s’est ligué contre contre un, et Mars sur nos Sillons,

Déploia de Soldats les nombreux Bataillons,

Ce Dieu lança sur nous sa foudre et son tonnerre,

Et fit voir à nos yeux les horreurs de la guerre.

Muse, sur cét endroit, jette un fidel rideau,

N’entreprend point de peindre un pareil Tableau,

Il suffit que Bouflers10 au Roi vanta le zele,

Et les puissants secours de ce peuple fidele,

Quand l’Ennemi battu lui demanda la paix,

Lille fut le premier objet de ses souhaits.

D’abord que le Bourgeois dans ses murs vit paroître

Les glorieux Soldats de leur ancien Maître,

En vain l’Airain sonnant publioit leur retour,

Et les feux du Salpetre annonçoient ce beau jour :

Ce grand bruit n’étoit rien au prix de l’allegresse,

Du joyeux Habitant qui pleuroit de tendresse,

Il étoit étouffé par des milliers de voix,

Criant, Vive Louis, le plus benin des Rois.

Lorsque de son ciseau l’impitoiable parque,

Du nombre des mortels retrancha ce Monarque,

On sçait ce qu’elle fit11 pour marquer sa douleur,

Ce que n’ignore point son digne Successeur.

Il fallut arrêter et l’ardeur et le zele12

(Quand il vint un Dauphin) de ce peuple fidele.

Le Roi qui nous gouverne, élevé par Mentor,

Chez ses heureux Sujets fait regner l’âge d’or.

On le peut appeler Delices de la terre,

Il éloigne de nous les fureurs de la guerre :

Et c’est sous cét Auguste, ou ce Tite nouveau,

Que nous voions briller de nos jours le plus beau :

Cét aimable sejour des Sciences l’azile,

Montre un nouveau Parnasse au milieu de la Ville,

Où les honnêtes gens par émulation,

De Bourdeaux, Montpelier, de Toulouse et Lion13

De leurs propre deniers font une Academie,

Qui des autres Citze doit exciter l’envie,

Cette aimable Assemblée attire l’Etranger,

Dans l’admiration il se sent engager :

Tout y paroît charmant, et c’est une merveille,

Puis qu’on s’y voit surprit par l’oeil et par l’oreille,

Entendant pratiquer les leçons de M**

Et joindre sa metode aux regles de son art :

Il fut l’un des premiers qui montra la justesse,

Comme on chante en françois avec delicatesse,

C’est ce qu’il apporta de la brillante Cour,

Qui de Louis le Grand faisoit le beau sejour :

C’est là qu’une charmante et belle Symphonie,

Des sons les plus touchans fait briller l’harmonie.

Par émulation on voit d’autres Concerts,

Que je devrois aussi celebrer par mes vers :

Mais où l’on ne boit pas, je n’y sçaurais m’y faire,

Et simplement des sons n’ont jamais scû me plaire,

A la Cave Saint Paul, où du Nectar le jus,

Sçait bien y marier les Muses et Bachus,

Pour l’ouï et le goût souvent c’est mon azile,

J’aime bien à méler l’agreable et l’utile.

*

Les Promenades de l’Esplanade

Lorsque l’astre du jour qui répand la Lumiere,

Descendant dans les eaux va finir sa cariere,

Que ses rayons brulans n’ont plus tant de chaleur,

et que le doux Zephire ameine la fraicheur,

Les briallantes beautez qu’on voit sur l’Esplanade,

Invitent aux plaisirs qu’offre la promenade,

Et la variété de mille objets divers,

Qui se font voiturer entre les arbres verds,

Vous montre le portrait de l’aimable Deesse,

A qui le beau Paris accorda sa tendresse

En lui donnant le prix sans avoir hésité

Qu’on ne peut refuser surtout à la beauté.

Des Carosses pompeux par l’or et la peinture

Relevent leur appas et leur belle coifure

Qu’une ingenieuse main a pris soin d’ajuster,

En richesse, en habit semblent se disputer,

Celle ci pour cacher les deffauts de son âge,

Sous le rouge et le blanc met son ridé visage,

Sa bouche demeublé etant sans agrément,

Emprunte de Cérez tout son ameublement,

Qui rand une genon propre pour mettre en niche,

Posant adroitement une machoire postiche.

Ainsi, se faisant voir sous de flateurs appas,

Elles veulent montrer tout ce qu’elles n’ont pas.

Il feroitbeau les voir entrant a leur toillette,

Avec leur tein tanné, la gorge tres mal faite,

Emprunter les secrets d’un art industrieux,

Qui cache adroitement ce qui choque les yeux ;

Il faut leur pardonner puisqu’enfin la vieillesse

Par ses infirmitez leur adresse,

Mais je ne peux souffrir que la jeune Philis,

Qui rend de sa beauté tout le monde surpris,

Et qui semble en appas epuiser la nature,

Pour embelir son tein se serve de peinture,

Ignorant que le fart et tous ces vermillons,

Imperceptiblement lui minent des sillons,

Et ridant peux à peux un si charmant visage,

On la verra bientost vie[i]lle même avant l’âge.

Si l’on avoit prevu la mode de ce temps

Sans doute on auroit fait les carosses plus grands,

Car les vertu-gadins passant par la portiere,

Ne sçauraient contenir la Dame toute entiere,

Et leurs larges paniers sans cesse incommodant,

Demeurent etendus sur ceux qui sont devant,

Le Zephire badin les enflant par son souffle,

Fait penser aux passans qu’on jouë à la pantouffle.

On voit le petit maitre ainsi que l’officier,

Le soldat, le bourgeois, le manant, le guerrier

Qui repaissent leur yeux à voir ces demoiselles

Que les ajustements font paroître si belles.

Puisque nostre senat a fait mettre des bans,

Pour la comodité du bourgeois, des passans,

Muse, voyons assis tout ce qui se presente,

Qui nous appreste à rire en tous ces tableaux,

Sans doute on peut trouver bien des originaux ;

Voyez vous ce pipant parmi ces beaux carosses,

Qui dans un joli fiacre entrainé par deux rosses,

Fait croire en le voyant que c’est un gros Seigneur,

Avec son air altier, son maintien imposeur,

Il doittout son éclat à l’heureuse deroute,

Que jadis son Papa fit faisant banqueroute ;

Ses creanciers contens de ratraper un quart,

Rendit ce faquin riche en mettant à l’écart

De quoy se faire un jour briller en cette ville,

Il est plus d’un heureux qe leur pere a fait gille,

Quoy qu’il porte sur lui le bien de l’orphelin,

Que pour le voir ainsi beaucoup meurent de faim,

Et que son nom ecrit sur la funeste table,

Ait esté quelque temps de la ville la fable,

Il suffit de le voir magnifique et brillant,

Le temps passé n’est plus, on cherit le present.

Ainsi lorsque Damis au retour d’une éclipse,

Paroit avec eclat et sa femme bien mise,

Encor qu’ils soient parez des grands vols qu’ils ont faits.

Les voyant chamarez les gens sont satisfaits

On ne regarde plus si Damis a fait gille

Il n’set rien qui derange aussitost que l’on brille.

Muse voyez vous bien cet homme tout doré,

Qui semble d’un chacun dans ce jour adoré,

Fils d’un fameux fermier des impots de nos villes,

Fait les ardens souhaits de nos plus belles filles,

On ne se souvient plus que son Papa jadis,

Prenoit les crocheteurs pour ses plus grands amis.

Aussitost que la nuit etend son sombre voile,

Que l’on voit de Venus au Ciel briller l’étoile,

Il n’est plus de carosse et ces aimables lieux,

De Nymphes sont rempli dont l’aspect gratieux

Nous offre des beautez sans fard et naturelles,

Que l’on peut sans flater qualifier de belles,

On rencontre souvent dans le menu bourgeois,

Ce qu’on voit de plus beau, les plus jolis minois,

Qui doivent leur brillant à la simple nature,

Qui pour bien travailler n’use point de peinture,

Tout ce que la jeunesse a de ris et de jeux

Font avant dans la nuit les charmes de ces lieux,

Ici l’on voit en rond une bende qui danse,

D’autres de leurs beaux chants font sentir la cadence,

Plus loing sous la fougere on jouë au corbillon,

Tircis dessus un banc en contre à sa fillon,

L’on y voit des troupeaux d’amoureux, d’amoureuses,

On rencontre de tout même des racrocheuses ;

C’est ici qu’ l’on trompe une mere, un parent,

Qui pendant que sa fille est avec son amant,

La croyant dans le lit sans craindre qu’on l’éveille,

Sçachant les verroux faits tranquillement someille,

Une adroite servante en estant de concert

A tromper ses parens fidelement la sert.

Voilà minuit sonnant un chacun se retire,

Ma Muse, le sommeil nous empeche de rire.

*

1Queva Malache (note de l’auteur).

2Fameux Predicateurs (note de l’auteur).

3Archiduché, dont les alliances ont joint ces Païs à l’Espagne. (note de l’auteur)

4Iberus, premier Roy d’Espagne.

5Louis XIV, en 1667, par dévolution, et par le défaut d’Enfant mâle de Charles le Hardi Duc de Bourgogne, prit ce Païs-ci. Voiez l’Histoire de Lille.

6La Muse des Spectacles, de la Danse, de la Musique, etc. (note de l’auteur)

7Deux fameux Musiciens pour la composition, l’un François, l’autre Italien. (note de l’auteur)

8Auteurs tragiques. (note de l’auteur)

9Acteurs fameux du Theatre François à Paris. (note de l’auteur)

10Monseigneur le Maréchal de Bouflers eut la bonté de rendre compte à Sa Majesté, des secours que le Magistrat, le Chapitre, les plus grosses bourses, et tous les Habitants lui avoient procuré, tant en linges pour les blessez, qu’autrement, pendant la deffense de la Ville.

11A la mort du Roy Louis XIV, on dressa un superbe Mausolée, et toutes les Cloches de la Ville sonnerent trois heures chaque jour pendant six semaines.

12Il vint une Lettre de Cour pour faire arréter les réjoüissances, dans la crainte que la dépense n’egalât le zele des Peuples.

13Plusieurs jeunes gens ont bien voulu, pour se former, se mouler sur les regles qu’on leur a envoiées de ces Villes, où il y a depuis long-tems des Academies de Musique.