C’est la chronique d’un recueil obscur, écrit il y a longtemps, en 1998, par un jeune poète de 18 ans. Même alourdi de maladresses – parfois même par elles – c’est un recueil intense. Comme il est introuvable, j’en donne ci-dessous de longs extraits.
C’est creuser les années profondes ; descendre un escalier en colimaçon, dépouillé, blanc dans la pénombre. Mais c’est encore plus bas. Un puits. Et la sensation d’une douceur au rebord du gouffre ; quelque chose noir et rien.
C’est creuser les années profondes ; descendre un escalier en colimaçon, dépouillé, blanc dans la pénombre. Mais c’est encore plus bas. Un puits. Et la sensation d’une douceur au rebord du gouffre ; quelque chose noir et rien.
Tout commence par
un groupe de jeunes artistes, des jeunes femmes et des jeunes hommes,
musiciens, poètes, peintres, cinéastes. Le
cénacle qui se tenait dans une
petite ville de province n’avait pas vraiment de nom. Il s’est réuni
tous les dimanches pendant environ
un an dans un café qui
longeait le passage piéton
d’une galerie. Il y aurait
beaucoup à raconter sur ce petit cénacle dont le plus jeune membre avait
14 ou 15 ans et le plus âgé pas encore 19. Ambiance
enfumée, bon enfant, amitié
& amour inventé sans
avoir encore besoin d’être réinventé ; haschish &
alcool ; poèmes &
chansons. Une
culture hétéroclite, faite
de Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, d’un peu de Nerval et – pour
Adriaenssens – de Pierre Jean Jouve (et je crois aussi du mauvais
Bobin), d’expressionnisme allemand, de beaucoup de musique,
Gainsbourg, Brel, Ferré, de Joy Division, des Pixies, des Béruriers
noirs, de Nirvana, de « Exit music »
de Radiohead, de Nick Cave & Patti Smith, et, par-dessus tout peut-être, de The
Doors… Quelques membres de
ce cénacle formaient un groupe de musique dont le nom, trouvé par
Adriaenssens qui en était le chanteur, valait manifeste :
Anna Imaginaire.
Il était grand et fin, les cheveux mi-longs et le
visage mal rasé, assez cramé déjà pour que son refus sans
concession l’amène à n’écrire que quelques poèmes sur ses copies
de baccalauréat (qu’il ne repassera pas) juste avant qu’on le pousse
à la cure de désintoxication, puis qu’on l’installe dans un
appartement thérapeutique où il vivait encore vers 2008 je crois,
l’écume aux lèvres, sniffant du Subutex entre deux bouteilles de
rouge, en se rêvant, non plus Rimbaud mais, l’âge venant, Antonin
Artaud. Et toujours un peu Gainsbourg.
Parmi ses
naïvetés et ses maladresses, grâce même à elles, Révolution
par la brume est resté seize
ans plus tard la plus enveloppante des mélopées.
L’histoire d’Anna l’ouvre et donne le ton.
L’histoire d’Anna l’ouvre et donne le ton.
La quarantaine de
poèmes qui suivent sont des échos et des éclats. Ils évoquent des
gouttes de pluie dans une flaque. Chacun le ressentira à
sa façon. Si j’en donne quelques
extraits par la suite, c’est que le recueil, édité en
2002 à compte d’auteur aux
éditions Bénévent, me semble en ce moment épuisé et introuvable
(j’ai en ma possession un manuscrit antérieur à cette publication),
mais il faudrait le lire en entier, d’une traite, le soir seul, pour
se laisser envahir sans heurt par une vague lente de mélancolie.
Oui, peu importent les naïvetés et les maladresses, puisque comme une dernière manifestation de fin de siècle (de fin, même, de millénaire), ce ne sont pas les logiques et les sémantiques qui comptent, mais les images qui se modulent.
Le mois de novembre en point d’orgue de l’automne.
« Je crache des araignées qui tissent des arcs-en-ciel noirs et blancs autour de mes écrits. »
Oui, peu importent les naïvetés et les maladresses, puisque comme une dernière manifestation de fin de siècle (de fin, même, de millénaire), ce ne sont pas les logiques et les sémantiques qui comptent, mais les images qui se modulent.
Le mois de novembre en point d’orgue de l’automne.
« Je crache des araignées qui tissent des arcs-en-ciel noirs et blancs autour de mes écrits. »
Une musique des visions.
Puisque la poésie de Nicolas Adriaenssens est une poésie des visions, dont l’ultime se dérobe à la vue que
l’oreille est la dernière à pouvoir percevoir.
Adriaenssens
s’approprie la leçon rimbaldienne du « voyant », sans
que ce travail aboutisse à un salut. Le
« voyant » ici
traverse les apparences et,
au-delà des apparences, ne
peut se confronter
qu’au pur néant.
Du coup, les visions ne sont pas en couleurs, mais
en noir et blanc. Les couleurs sont même dénoncées comme attribut
du mensonge général et de l’illusion : « Le monde autour
d’elle est gris mais zébré de fausses couleurs », « j’ai
ôté les couleurs de mes yeux / afin de t’aimer tendrement ».
La nuit seule est supportable, où tout est noir et blanc, ou gris.
Et c’est ce gris qu’il faut saluer, ce gris d’une douceur tendre qui
pourtant est le dernier seuil avant le noir.
« Les
couleurs sont mortes. Fêtons l’avènement du gris ».
Dans le noir absolu, il ne reste plus que la musique. Le monde, devenu autre (on retrouve la deuxième grande formule de Rimbaud bien sûr : « Je est un autre »), détaché des ressemblances, des référents, des images, n’est plus sensible que par la musique. Celui qui se fait musique peut, un instant, sans l’écart de la conscience, devenir flux s’épuisant essoufflé dans le néant. La musique est une extase et elle est éphémère : « L’auteur de cette mélopée est Nicolas de Novembre et une fois récitée, elle retombe dans le creux de l’oubli. » Existant dans l’instant, elle n’a plus lieu d’être en souvenir. Pas de nostalgie : le souvenir est un mensonge et une illusion comme le reste. Et ce n’est pas ce monde-là où vit le poète.
Il y a l’exigence
d’un monde sans illusions. C‘est
un exercice de désillusion jusqu’à cette désillusion totale qui est recherchée – ou plutôt fouillée
(« Sous
l’obscurité ne se cachent que des gouffres plus grands encore »)
–,
puisqu’on
est déjà loin dans l’état de dépouillement.
Comme symptômes,
outre l’absence
de couleurs, le décor
urbain : la ville, l’asphalte, l’errance. Un goût pour les
forêts post-industrielles, celles qui ont été replantées par
compensation et qui n’ont plus l’aura des loci amoeni
traditionnels. Ce sont ces
lieux désolés, presque des non-lieux, qui attirent le poète :
là, il n’y a pas d’illusions, pas d’urbanisme,
pas d’architecture, pas
d’art officiel, pas de tour
Eiffel. C’est l’aire d’autoroute qui sert d’espace (de
scène) à Débris
d’une nuit : « Pour
personnages
en trompe-l’œil divaguant sur une aire d’autoroute ». Ce
n’est pas une emprise sur la réalité, il fut
même un temps question dans le cénacle de nommer cet embryon de
mouvement « l’Irréalisme » : la réalité est niée,
fuie, puisqu’elle n’apporte rien de bon. Ce n’est pas « Zone »
d’Apollinaire : nous sommes « hors zone ». La rue
est vide, les passants sont tristes, eux-mêmes esclaves et victimes,
jamais bourreaux – sinon
malgré eux –, et
leur joie est toujours
fausse : « Aux
lendemains, quand les masques festifs se fissurent en fragments
mornes, etc ». Le monde présente deux niveaux : celui de
la Société, qui est une surface (déclinaison poétique de
l’analyse de Debord), et derrière cette surface, le gouffre.
Adriaenssens se
sert encore des derniers lambeaux qui lui restent sous la main. Deux
principalement.
Le
premier est la figure de
l’artiste, qui confine au mythe. « L’homme est bon, puisque
l’homme est artiste. » Mais il ne s’agit évidemment pas du
poète prophète, du poète génie, du poète glorieux, mais d’une
variante du poète maudit, poète contre la société mais aussi
contre lui-même, car condamné à un art qui l’abîme plus qu’il ne
le sauve. Et c’est cela la variante. Alors que les poètes maudits se
drapent d’art, ici il
se sert de l’art pour fignoler l’équarrissement. « L’écriture
est un deuil, car à chaque mot, ce sont des sentiments qui meurent.
Les mots sont si réducteurs… » La
sublimation par l’art lui est
interdite, et « condamné
à la banalité » il ne
se démarque en rien de ses semblables :
« Lui : Et vous, que voyez-vous en moi, une chimère ?
Le Voyageur : Non, surtout un pauvre type ivre mort… »
(Débris d’une nuit).
Il n’y a pas de haine de
l’autre, pas de violence, mais presque de l’humour tendre, et une
immense pitié. C’est que tout le monde,
encore une fois, est
conscient du néant (de la
vanité) de toute chose, traîne (erre) en cherchant, ici ou là, par
l’amour, à faire de cette tension d’équarris (d’écorché) une
extase de l’intensité.
Le
deuxième, c’est Anna. Espoir du non-espoir, figure ambivalente de la
rédemption qui serait l’impossibilité totale de rédemption,
l’énergie onaniste d’un définitif retour sur soi destructeur.
C’est la révolution.
François Raviez, qui
avait écrit un texte (vers 1998) quand Adriaenssens lui avait fait lire le sien,
s’était borné à enregistrer le fait et à opposer sa petite vision
propre d’une révolution par la lumière. Il n’avait pas compris, je
crois, en quoi consistait vraiment cette révolution, une fois
l’interprétation adolescente écartée.
Cette
révolution fonctionne comme plusieurs renversements de valeurs, peu
importe qu’elles nous semblent (en
amont comme en aval) positives
ou négatives. Dans ce qui pourrait s’apparenter à une dialectique
de la tristesse, le troisième mouvement nous ferait parvenir à la
mélancolie la plus pure, qui est la condition de
cette révolution.
On
ne sait au juste si elle doit être personnelle ou sociale. En
tant que le poète n’est pas dissemblable des autres humains, elle
est les deux à la fois sans doute. Le
monde entier, du sol aux étoiles, est bouleversé par la mise en jeu
du poète révolutionnaire. Mais,
malgré les apparences
justement (car cette
révolution devient le titre du recueil),
elle n’a jamais été une
finalité (une fin en soi) –
aucune révolution ne
l‘est –, mais
elle est une gageure qui n’est que la dernière des illusions.
C’est un pied-de-nez plus
qu’un programme ou une revendication. Ici aussi on sent cette
auto-ironie qui innerve, en la rendant plus douce et plus attachante,
ce spleen qui n’a rien en fait de complaisant mais qui est une pure
intuition du néant.
Car que
reste-t-il après toutes ces apparences ?
C’est, à force
d’irréalité constante, une narcose qui envahit le lecteur. Une
hypnose. L’épaisseur du rêve. Accompagné dans cette catabase par
la figure d’Anna, nous descendons toujours plus bas jusqu’à ce qu’il
n’y ait plus rien. Car après
la révolution par la brume, il ne reste rien. Anna
nous lâche la main, et nous baignons dans un noir sans mystère, un
noir plein, qui est un néant.
C’est cette ultime vision, qui ne peut plus en
être une, qui ne peut même plus être une mélodie, qui est le don
(la « part maudite » bataillienne) de cette poésie, et
qui nous pousse peut-être vers toutes les poésies.
C’est une autre pratique du
quotidien. Nous sommes tous Rimbaud, mais la plupart l’ont toujours
refusé. Entrer dans la société, c’est tuer Rimbaud. Et même si on
professe sa foi indéfectible en lui, même si on s’en réclame,
comme on peut se réclamer d’Artaud également, jouer le jeu de la
société, être intégré à elle, publier même, c’est toujours
trahir Rimbaud. Ce pourquoi il ne faut s’en réclamer sans être
ridicule. Cela peut paraître simpliste, voire simplet, mais c’est
juste simple.
– C’est ainsi.
*
Histoire d’Anna
Anti-poésie
en plusieurs esquisses
Pour acteurs
fabuleux entourés d’images magiques
Naissance d’Anna
Anna est née et le monde
s’est tu, au dehors de sa peau. Le sol était si pur et les arbres si
nus sur son passage. Ma vie frêle ne tenait qu’au fil de ma
tristesse et aux souvenirs naissants. Sur le sol assoiffé de nature
Anna déverse mille miroirs de beauté. Elle a découvert la magie et
étale des millions de rêves sur les crânes dégarnis de
l’autorité. Anna, née au printemps, aurait pu convertir le monde à
la beauté.
Dans sa magnifique
ignorance, elle ne fuie pas encore, elle ignore tout des regards
apeurés qu’il faudra cacher sous sa pureté pour survivre dans le
monde des spectres. Une nouvelle religion est née dans la forêt :
celle de la beauté. Les arbres timides et pudiques cachent leur
laideur de bribes de ciel bleu. Le lac cherche à refléter les
pensées d’Anna qui marche, insouciante.
Le vent murmure un hymne
à la pureté et les feuilles tombent à la cadence du cœur d’Anna.
Tout n’est encore que
rêve quand Anna avance, habillée de nature et d’océans d’images,
vers son destin, orage dans un ciel d’été. Tout aurait été
possible si le monde, ce matin, s’était arrêté de battre pour
vivre mille rêves de pétales rosés aux pas d’Anna.
Atteinte
Tout n’est déjà que
souvenirs lorsque Anna progresse dans les friches de travail,
première atteinte du monde extérieur. L’incompréhension guette son
regard et Anna se sent nue sans ses habits de lumière.
Au-delà du jardin
secret, se dresse une noire montagne embourbée de suie et de
cauchemars. Anna voudrait éplucher cette noirceur pour en retirer
des abîmes de beauté mais sous l’obscurité ne se cache que des
gouffres plus grands encore. Dix mille enfants, sous l’Œil de la
bêtise, travaillent à la chaîne, creusant et meurtrissant chaque
jour un peu plus leurs rêves.
À côté d’eux des
chiens de garde masqués, sans visages se tiennent, obéissant aux
lois de la Noire Société. Les soleils, jadis souriants, complotent
contre la beauté d’Anna, tenant conseil pour entretenir l’obscurité.
– ils travaillent encore
– et au-delà de leurs regards, des monstres d’acier, de sombres
machines ont volé leur humanité.
L’inutilité est derrière
chaque geste, chaque œil, mais personne ne le sait. Les Fuyants ont
affirmé qu’ils seraient heureux.
Anna résiste, refuse de
noir l’entrée dans ses pensées pures, laissant aux ombres le
monopole de la laideur.
Poursuivie par les rayons
du mal et son long cortège de folies elle court, l’infaillible
certitude de bientôt se réveiller au printemps parmi les fleurs de
la beauté.
Déjà corrompue par les
visions, déjà consciente, le sol se fait gris sous les pas d’Anna
et les fleurs du bien se meurent sous la pureté tâchée. Déjà les
prémices des interrogations s’immiscent en son âme, quand, sur son
chemin de vie, se dresse une porte avec le mot cinglant :
REALITE
Nicolas de Novembre
(autoportrait)
Dans
l’hôpital de mes démences, je fume des rêves en hiver mais la
fumée n’est que haillons.
Je
suis né dans un bois noir où chantent les hyènes ; la rivière
qui coulait n’était qu’un écoulement continu de sperme où
flottaient des vices multiples.
Je
suis né dans une forêt de pianos écorchés où les notes
m’attirèrent plus que la grisaille
Je
suis né dans les plaines de l’incertitude, scrutant l’horizon de mes
poings acérés afin de trouver le repos.
Je
suis né dans un hôpital où les anges dirent que j’étais
irrécupérable, condamné à être poète.
Je
suis né sous un toit de béton armé, tentant vainement de
m’échapper à chaque envolée lyrique.
Les
orages se déclenchèrent à chaque incertitude, et les dieux me
condamnèrent à la banalité, que je refusais de toutes mes forces.
Et
des personnages imaginaires s’échappèrent par erreur de pages
sombres de mes poèmes, pour s’incruster dans ma conscience.
Je
fixe des angoisses sur papier. Je suis un alchimiste de la douleur
mais la pierre philosophale n’est qu’illusions, sang et pluies.
Par-delà les cauchemars se dresse une vérité première qu’il me
faudra atteindre pour partager un triste privilège avec les
mortels : la vision du néant, de l’indicible.
Sur
les cordes de ma guitare et dans les entrailles d’un ampli se cache
la part du vide, la peur du vide.
Les
souvenirs me dévorent et les automnes de ma vie se succèdent à un
rythme printanier.
L’insecte
de la mélancolie bourdonne à mes oreilles comme un fruit trop mûr.
La folie me murmure une douce romance.
Je
crache des araignées qui tissent des arcs-en-ciel noirs et blancs
autour de mes écrits ?
Mes
yeux magnifient le néant et mon regard vide s’échappe souvent.
Mais
dans ma solitude se cache un espoir : Anna, que j’ai créée
pour réchauffer mes pensées d’un linceul de pureté.
Mais l’heure n’est déjà
plus à la poésie mais aux amères descriptions de la réalité.
Vous teniez l’amour dans
vos bras sans savoir qu’elle se tenait là, sage et immobile.
L’amour est une femme.
Vue de devant, magnifique et lumineuse. Une aube éternelle.
Derrière, des vers lui perforent le corps et strient la peau de
labyrinthes fangeux. Vous la teniez tout de même, car vos pauvres
sens humains n’ont plus voulu percevoir que le bon côté.
La vie se réduit à la
métaphore de l’amour : le mal nous pousse tellement par
derrière qu’on ne voit que le bien.
Le mal m’a poussé sur un
mur, et j’ai été forcé de faire demi-tour. Regarder.
*
Anna ouvre
la porte.
*
Nous
devions avoir une dernière illusion, avant de mourir. Nous devions
faire semblant de croire que nous existions – J’entends par exister
être hors du commun des mortels – Nous refusions le monde comme on
refuse un chemin, si propre qu’il en devient laid.
Derrière
les rires de Max et les grimaces obscènes de Nicolas, se cachait
cette peur inouïe, dévorante.
Non
satisfaits de n’être pas du tout, nous avons choisi de n’être rien,
expérimentant le vide et la description des pensées pour arriver à
une autre perception du beau. Et le vide s’est dissipé, remplacé
par une substance merveilleuse : l’Art.
*
Réalité
La réalité est une
cave. Un penseur, perdu dans des denses lumières oniriques, se tient
sur un trône noir. Ses yeux fermés font penser aux phares éteints
d’un camion qui fonce sur un homme, dans une nuit sans étoiles.
Est-il mort ? Anna s’avance. Il ne bouge pas.
La lumière blafarde
murmure des blasphèmes, soleils de charbon. Le lieu sent la révolte
et l’orage. La cave entière est en deuil. Des cortèges d’ombres ont
élu domicile derrière les réflexions du penseur. Placardées au
mur, des affiches déshabillent l’humanité de son voile de bonté.
Eisenhower découvre les corps étendus par la barbarie. Un homme est
en train de tuer sa femme, le sourire aux lèvres. À côté de
l’horreur, l’espoir chante « ne me quitte pas »
et les images sont les
lettres des mots qui viennent à la bouche d’Anna, si révoltés, si
incrédules.
De l’autre côté de la
cave, s’ouvre une porte, d’où déboulent trois adolescents, le
regard vague, les yeux en spirale, semblant scruter l’infini. Anna
recule, se cache et observe.
L’un d’eux s’accroche
désespérément à un micro, le visage barré d’une cicatrice,
l’autre se cache derrière le rempart de palpitements d’une batterie,
l’autre enfin torture sa guitare, sadique.
Et le chant glacial
retentit, comme une vérité première aux oreilles des mortels, dont
personne ne voudrait.
Un chant qui rappelle la
lune, le soir aux envies de meurtres, lorsque la terre s’arrête un
instant pour contempler le mal qui lui gratte la peau de mille
pustules venimeuses.
Le chant se prolonge et
les étoiles Espérances, barrant le front des mortels, s’éteignent
une à une.
Vous êtes-vous déjà
réveillés en pensant à ce chant, la veille de l’enterrement de
dieu ?
Vous l’avez déjà
marmonné, le matin au ciel fondant, au soleil de chocolat, lorsque
les montres s’arrêtent pour murmurer un adieu aux vies trop fades,
aux vices trop envahissants.
Un chant possédé par la
beauté, le mal, la destruction, la folie.
Et les forêts de pieux
s’érigent, où s’enracinent des cadavres empalés.
Des pétales de roses
s’ouvrent et se referment, au gré des palpitements.
Des perles d’orages se
créent autour d’accords de guitare.
Possédée par une furie,
la voix perd tout contrôle et voudrait s’envoler.
La chanson s’arrête.
*
Et le rêvent
devint réalité… ou cauchemar
(Nicolas N.D.
a créé Anna)
Tout se
joue en un seul regard. Nicolas et Anna s’aperçoivent de l’horreur
qui les a fait exister. Anna, condamnée à être pure dans un monde
de pluies vermoulues.
Nick,
condamné à être sale dans un monde de spectres vagineux. Anna,
idéal féminin, créée par l’homme qui pue l’amour. Le penseur
s’éveille, parle en métaphores.
Tous se
tiennent la main et sortent de la cave. Veulent découvrir le monde
sous d’autres yeux que ceux de la corruption. Anna, sous ses habits
de feuillages au printemps, semble ne douter de rien. L’homme est
bon, puisque l’homme est artiste. Ils marchent, elle pleure. Ils
marchent, elle vit encore.
*
L’œil
Des
spectres grisonnants marchent dans les rues.
Le
printemps frêle dégaine ses armes de beauté, mais sous l’arcade de
Mars, personne ne scrute l’horizon. Un vieux conteur déjà mort
récite une vieille histoire bien connue ; tous les regards se
sont aiguisés :
« l’Œil est partout présent
il déniche et me prête
grâce aux apparences
des pensées que je ne possède pas
des rêves que je ne supporte pas
des vices auxquels je ne succombe pas
et quand l’Œil arrête
son intrusion passagère
dans une âme d’emprunt
il en reste des traces
et il en reste des traces…
L’Œil est pire que les spectres qui rongent les sépultures
car l’Œil est en nous
chaque fois que nous vivons »
L’auteur de
cette mélopée est Nicolas de Novembre et une fois récitée, elle
retombe dans le creux de l’oubli. Les gens dans la rue perçoivent ce
curieux groupe d’éveillés, la beauté d’Anna trônant au milieu, et
se grattent l’oreille, perplexes.
La
découverte commence.
*
Anna est
seule, dans un cimetière militaire, où les croix débordent du
grand vase de la mort comme des fruits trop mûrs à la fin de l’été.
Le prophète se dresse au milieu d’un chemin et murmure cette longue
plainte :
« Des papillons noirs survolent leurs rêves
des chimères malsaines les dévorent
les anges sont déportés par millions
dans les camps d’ossements de démons
le mal est vieille putain monotone
qui revient s’asseoir aux pieds des mortels
le mal est une belle-mère
que chacun connaît
et qu’ils finissent par aimer
le chemin est long vers l’homme
et tissé d’écorchures »
Au-delà
des paroles amères, le ciel écorché murmure de longues traînes
lumineuses. Le jour stoppe le combat et les étoiles s’allument, en
guise de victoire. La morne folie de la nuit guette déjà les
lumières survivantes.
Anna marche
toujours sur ce pont surplombant la rivière du mal, où l’eau,
endormie depuis toujours, menace de se réveiller à chaque instant.
*
L’Écriture est un deuil, car à chaque mot, ce sont des sentiments qui meurent. Les mots sont si réducteurs…
Des gouttes
de vérités sont les larmes d’Anna. Là où la vie respirait, on ne
trouve que des déserts de souffre, et des vides de pensées plus
grands encore. Le rien n’est encore plus beau que l’esprit de
l’homme.
*
Nathanaël
fuyait le mal car on ne fuit son maître qu’à toutes jambes.
L’inventivité maladive de l’écrivain aura rattrapé ses pas avant
la mort de la lumière.
Dans les
jardins du bien, jadis, Nathanaël a découvert des fruits hypocrites
dévorés par les vers. Avant de tuer pour la première fois, il
cultivait des champs, sous terre, où les sillons étaient des veines
écorchées et les soleils des assiettes immenses striées de
fourches ensanglantées.
À l’aube,
il refermait les livres pour s’adonner à la banalité. Chaque homme,
à la nuit tombée, ouvre dans son esprit des livres insoupçonnés,
où s’entremêlent le bonheur et le sang. La vie est un iceberg dont
la partie visible est la lutte hypocrite contre le mal. Nathanaël
était plus philosophe que tous les philosophes. Voici la vérité,
mesdames et messieurs. Tapez bien fort dans vos mains.
*
« les enfants rongés par le sel
ont couru la nuit sur la plage
sortant de grands oriflammes
nommant leurs idoles
crustacés de la mer
ils ont déposé aux immeubles défigurés
des offrandes de nerfs
en brûlant les hommes
pour arrêter le temps
les poètes de l’âme dévorée
se sont entretués
à l’aube du grand escalier
qui pend les routes vers l’enfer
sur les nuages plaintifs
le combat continue ;
que pleuvent les hurlements
le monde est un glaçon
sur lequel les âmes fondent
l’ère glaciaire est arrivée
l’ère glaciaire est arrivée
et sur l’encens palpitant
des bombes éclatent en sanglots
au lieu de tomber
sur vos crânes déjà meurtris
les oiseaux s’échappent
tant qu’ils le peuvent
les camions écrasent leur conducteur
sur l’autoroute de la mort
les choses prennent vie
et la folie peut commencer
le rideau est ouvert
que tombes les nerfs du spectateur
que brûle l’argent
que s’effondre cette société maudite »
(décor plaintif et ténu, où la neige semble être un miroir où
contempler nos dépressions, où la neige paraît être un abîme où
chuter sans fin)
(le rideau s’ouvre)
(les acteurs sont assis dans une flaque de soleil)
(le penseur finit de débiter la mélopée, et se tait)
(Anna cache son visage sous des mains arides)
(la nuit est immortelle)
*
Ce n’est pas moi qui ai dit ça, c’est un être perdu dans les froids
méandres de l’année dernière ; j’ai dû le laisser fondre
dans les glaciers rouillés de Novembre, en quête de la fusion des
âmes ; j’ai dû le laisser chercher le mal à la racine et
transplanter les germes dans toutes les consciences ; j’ai dû
le laisser s’échapper dans les nuits ensoleillés où fleurissent
les vices au printemps, comme des groupuscules de haine. C’était
moi, tout de même. (contradiction).
*
Anna est affalée dans l’atmosphère sanglante d’un café. La nuit
toujours… les acteurs font offrande de leur pensée à l’obscurité.
L’espoir est malade et les lumières du café s’éteignent une à
une.
Les défaites germent dans les yeux d’Anna.
Un cendrier est posé sur une table désertique où tombent les
pensées qui se vomissent du crâne d’Anna, et tombent dans le
cendrier, cimetière philosophique. Elle rêve…
*
La population de la forêt a pris vie à travers les rêves d’Anna.
Elle est seule au milieu d’une place encombrée d’arbres où les
branches s’entrechoquent, hypocrites. Le sol est jonché de
cnedriers, seul signe de la non-réalité des lieux. Des vapeurs de
sueur et de futilité s’en échappent encore. Une sève odorante,
suave et sensuelle s’échappe voluptueusement des arbres. Les arbres,
squelettes dégarnis tels des hommes face à leurs vices, courent,
recherchant le bonheur tout en trébuchant sur des ronces. Des cœurs
battent à tout émouvoir, survivent et s’arrêtent. Anna écorche
les veines des arbres où la sève coule à flot.
Elle s’arrête et contemple son bras nu, longuement. Elle approche le
couteau. Un oiseau découpe le ciel en orages lumineux. La faille
commence à tronçonner son cerveau. L’eau sale est éveillée en
elle.
*
Elle est vivante, car l’humanité lui a donné un don qu’elle s’est
découvert : la lâcheté. Les regards apeurés des hommes
dansent dans son âme, tandis que le couteau est refoulé dans sa
poche. Elle contemple son visage, dans une rivière sale, où des
ombres de pureté s’efforcent de refaire surface. Dans ses yeux, elle
découvre des océans où des marins, abrutis de travail, se jettent
à l’eau. Dans ses yeux, elle contemple l’immuable ; elle voit
des plaines gelées où courent des espoirs frigorifiés, en loques,
et si sales…
Elle veut croire à la beauté de son visage qu’elle entrevoit pour
la première fois, découpé par les vaguelettes.
Un visage qui pourrait tomber amoureux d’un arbre, où des vagues
d’un rêve humain sur sa peau. Un cendrier gît au fond de l’eau et
ses pensées se fissurent.
Le cendrier est posé sur la table. Le rêve est terminé.
*
Réalité : diverses couleurs
(rue sans lumière)
Nathanaël :
« tu n’es qu’une pute
ne
crois pas, mon amour,
que
je cultive des jardins secrets
où
tu figurerais en déesse
tu
n’es qu’une pute
lorsque
les statuettes auront détruit leur piédestal
elles
marcheront vers toi
libérées
de leur joug d’acier
tes
yeux alors
implorant
la raison
de
revenir vers toi
comme
la corruption
vers
les lanternes noires
murmureront
un pardon
à
l’effigie de la nuit »
(il
la lâche)
Anna :
« les esquisses symphoniques de la tristesse ont trouvé leur
musicalité dans le noir de ton océan ; pourquoi laisses-tu tes
yeux jouer la méditation de Thaïs ? »
Le
penseur : « Le noir qui s’échappe est une offrande au
bleu hypocrite »
Anna :
« Pourquoi t’enveloppes-tu de deuil? »
Le
penseur : « Il existe d’autres réalités. La mort n’est
qu’un déguisement.
(éclair
furtif au fond des yeux)
Les
couleurs sont mortes. Fêtons l’avènement du gris. La chasse aux
sorcières recommence. »
*
(cave)
Nicolas de Novembre : « Tu as vendu tes yeux au grand
marché des couleurs corrompues… Je t’avais imaginée papier blanc,
des tâches d’encre parsèment ton corps.
Je t’avais rêvée pure, des ombres nagent déjà sous les eaux
claires. J’avais tiré de mes angoisses une fée auréolée
d’intentions naïves, te voilà sorcière. »
Anna : « Peut-être ne suis-je que moi-même. »
*
(Stanz)
(place d’armes)
Le chant atroce des comptables attablés le dévore.
L’effroyable impuissance des gens à le faire rêver l’avale. La
divine banalité prônée par les mortels l’accable. Les gens jouent
la symphonie de l’hypocrisie et il tourne, sur lui-même, imitant le
mouvement de l’éternité, hurlant des hymnes à la liberté.
*
À la musique
(Aubry-du-Hainaut)
(espace
vert)
Tandis
que les bourgeois fêtent l’arrivée de la tristesse, sans qu’aucune
fêlure ne vienne parsemer leur monde égoïste, Rose joue la mélodie
de la pluie. Bordée par les émanations musicales, la verdure semble
se reposer dans un lit de ronces. Les doigts de Rose qui courent sur
le piano murmurent des rêves. Le monde autour d’elle est gris mais
zébré de fausses couleurs. Un miroir est posé devant le piano, et
le regard de Rose est enchaîné à ses propres yeux, captive du
miroir.
Le
regard des autres ne l’oppresse plus ; elle approche de la
liberté.
Les
notes s’échappent de ses doigts, bribes de pureté dans un monde
imaginaire.
À
chaque note, le monde se refait, comme autant d’affronts et de trêves
lancés aux guerres.
Les
immeubles deviennent des contes de fées où les enfants règnent en
rois ; les nuages prennent la couleur de l’arc-en-ciel.
*
Mélopée
(Philippe)
J’avais caché des vérités (en arrachant une horloge).
J’avais surnommé Diane la déesse du feu. Elle m’avait englouti de
cendres amoureuses à coups de magies blanches (en renversant un
cendrier). Elle avait fui la réalité pour enfoncer dans mon crâne
des paradis verdoyants. Elle avait construit des souvenirs futurs
voluptueux. Le présent était un rêve et le futur déjà bâti.
J’avais écrit des poèmes qu’elle avait avalé. J’avais imaginé des
songes pour envelopper son corps d’éternité. J’avais moi aussi
enveloppé son âme des cendres de sa nuit passée.
L’amour était immortel et la nuit si loin…
*
Final
(tous les acteurs)
(rue)
Les fantômes de la société, que l’on croyait oubliés grâce à la
transcendance poétique, apparaissent au coin d’une rue. L’un habillé
de rayons noirs, à l’allure d’une flèche. L’autre, perché sur ses
pensées ignobles le suit avec peine. Une autre encore, juschée sur
de hautes chaussures pour manifester la grandeur qu’elle n’a pas,
brandit un couteau. Ils se précipitent sur eux.
*
Une heure avant (café)
Espoir
Les violons s’accordaient. Les bouches se rejoignaient sous des paroles entendues. Les âmes se fondaient et la compréhension s’immisçait dans les paroles. Ils parlaient d’oubli, de vapeurs illicites, de chemins épineux vers le bonheur, de calvaires constructifs. Ils parlaient d’aurores à bâtir, de sentiers de vies à reconstruire ; rêves à l’abandon de la raison…
*
Final
Tous gisent sur le sol, symbole de lassitude et d’abandon paisible.
Verdict
Le prophète s’avance, s’extirpant de son trône délabré
Le
penseur est condamné à l’immortalité.
Nicolas
est condamné à la banalité.
Stanz
est condamné à la folie éternelle.
Philippe
est condamné aux regrets.
Pour
avoir rêvé…
FIN
…écrit
dans l’urgence d’une vie meilleure…
Nicolas De
Novembre / Novembre 98
*
Lettre au vide qui murmurait une mélopée le dimanche matin, vers neuf heures
Aux lendemains, quand les
masques festifs se fissurent en fragments mornes, et que la lumière
murmure encore des regrets à la nuit passée, la plénitude du rien
s’installe confortablement aux fauteuils cloutés de la mort.
L’arrière-goût d’un amour fuyant s’échappe en langueurs amères
vers le ciel blafard.
Certains vont à la
messe, d’autres murmurent de doux blasphèmes à la journée
naissante.
L’âme d’un chien
abandonné gémit encore sur les toits de la solitude. La nuit
cachait mes regrets, enveloppait mon visage de couleurs anarchistes.
La nuit est à nu et se cache jusqu’au crépuscule. J’avais remarqué,
sur les étoiles, des élans de poésies inhumaines que nul n’avait
songé d’agripper.
J’avais frôlé, du bout
des doigts, des systèmes de pensées différents.
J’ai entendu les « je
t’aime » dégarnis des arbres implorant la nuit, les feuilles
qui se mêlent dans des ouragans lumineux.
L’âge de la magie noire
a maintenant sonné aux portes de la perception. Et maintenant je
vous sens, ô vide et t’ai tour compris.
Vous n’existez que dans
mes défaites.
*
La Peur
les cheveux glacés
sur
leurs plants
algues
foudroyées ;
la
solitude qui radote
la
mort qui étend son voile
par-dessus
les yeux lumineux
d’une
fillette empoisonnée ;
les
monstres prêts à bondir
sur
l’asphalte craquelée
l’errance
immortelle de la lumière
après
l’oubli volontaire
dans
les canaux vaporeux
de
l’alcool
les
demeures putréfiées
qui
viennent frôler
les
traînées d’avion
la
peur qui engloutit les passants ;
la
solitude qui bouffe les ombres
pour
hurler dans ma tête,
le
calvaire agonisant des dernières lueurs :
la
peur
*
La mort défigurée
Je marche et je te cherche dans ces bois noirs.
Je
cours, peu à peu, affolé
à
l’idée d’infinies souffrances.
Des
ronces retiennent mes pieds.
Si
ton cadavre ne vient pas à moi
je
viendrais le chercher.
Plus
rien n’existe, sauf ces éraflures
aux
relents de ténèbres.
Toutes
les étoiles semblent chuchoter
l’hymne
de ma
vie perdue.
Des
arbres veulent m’enlacer de leurs branches enneignées.
La
nuit semble s’affaiblir.
Il
fait froid.
Partout
dans ce monde, les vivants
s’accrochent
à mes pas,
que
laissent en suspens l’idée d’espoir.
Et
puis l’idée de ténèbres semble s’évanouir :
tu
gis, morte, enrobée de certitudes,
sur
ce sol
délavé
par les illusions mourantes
d’une
immortalité.
Je
vais me pendre à tes pieds,
au-dessus
d’un gouffre.
*
Tueries
le temps est immobile
aux
longs pieds de la falaise
Anna
en ce jour de deuil
sent
le poison
s’immiscer
dans ses poumons
elle
crache alors des mots
surgis
de l’ombre
qui
bâillonnent les mortels
elle
allume les étoiles une à une
pour
fixer le décor et pour parfaire son œuvre
elle
implate des comètes
NUIT
Anna
cette nuit s’alanguit par souci pour son ennui
pour
tuer le temps il faut d’abord tuer les hommes
Anna
a très bien compris cela
cueillant
des fourches dans l’antre du diable
elle
pénètre dans les lumières rougissantes
et
s’acharne à détruire les hommes
sombre Marie
quitte
ces mornes habits
sombre
tourment
déserte
cette âme d’enfant
sombre
Marie
en ce
monde morne et serein
délaisse
tes vœux
dans
le caniveau
délaisse
tes larmes
au
seuil de la tristesse
délaisse
ma raison
au
seuil de ta conscience
sombre
Marie
quitte
maintenant
ces
habits de vivant
et
vers le ciel implorant
murmure
tes sentiments
*
Cristallisation
ne trouves-tu pas ces baisers vains,
fille
noire autour de quoi
rien
n’existe ?
j’ai
ôté les couleurs de mes yeux
afin
de t’aimer tendrement
je
suis le bateau échoué
d’entre
tes seins
la
brume qui navigue
au
creux de ta haine
ma
chérie
sache
que
tu me tronçonnes le cœur
et
que nulle brise douceâtre
ne
vient baver sur les morceaux
et je
te regarde
crétin
apprivoisé
me
détruire paisiblement
sais-tu
que ton mépris m’élève
dans
les vapeurs langoureuses
de la
haine sinueuse
je
pleure mais ne suis pas pluie
au
grand dam des symboles
et ma
semance est vaine
j’aurais
beau chialer
je
serais toujours
ce
grand port désert
où
les bâtiments se taisent, amers
je
serai toujours une langueur monotone
*
Dernier regard
son regard qui pleure
dans
mon œil qui coule
oh !
je ne sais plus de quoi souffrir !
son
regard de coton
son
noir chapelet d’ivoire
sa
détresse si semblable !
elle
me foudroie
comme
pleurent ces effets de nuit
au
beau milieu du jour
sur
la boue de mes souvenirs
Ô
cathédrale des sens !
*
Octobre 97
sous les ciels de l’emmerde
aux
traînées de gerçures
la
neige déshabillait la nuit
de
ses ténèbres
et de
bars en sommeils
erraient
des sentiments
–
et quand on comparait
nos
univers, tu t’en souviens ? –
j’étais
la solitude nacrée
tu
m’offrais la brise en baisers
j’étais
la mer figée
tu
m’offrais des vagues
on
apercevait l’espoir
au
détour d’une mort
on
fuyait la vie
sous
des lampions de chimères
*
Depuis l’éternité
c’était une noire forêt où s’étalait la nuit
de
tout son long, comme un tapis d’Orient
Shéhérazade
disperse ses prières
depuis
des millénaires
parmi
les saules qui pleurent la défaite du jour
depuis
l’éternité, elle rôde
dispensant
ses rêves aux alizés
depuis
l’éternité
un
nid de pleurs reposed’enfant7
dans
chaque arbre
et
flotte, par-dessus le lac embrumé
son
fantôme d’argent
squelette
lumineux
et
partout où les vérités se perdent
elle
sombre, sombre dans des rêves d’enfant
et
quand l’aube enfin, narguant la nuit,
louange
à la beauté
elle
s’endort
*
Renoncement
j’ai été vivre seul
sous
de multiples cascades d’or
ensanglantées
par
de mystérieux regards
avec
ma conscience et quelques vivres
j’irai
dans tous les abysses
par
tous les chemins
qui
ne mènent qu’à l’oubli
jusqu’au
seuil de ton amour
où
les fleuves de la terre ne coulent plus
faire
l’amour à des ombres
et
des souvenirs
mon
œil nage
dans
les eaux folles
de
l’océan nuit
mon
cœur palpite encore
sur
tes rives
j’en
suis sûr
j’ai
été vivre seul
là
où mes larmes sublimes
répondaient
à tes échos
lançaient
de violents appels
à
l’obscurité
tes
mots résonnent en mon monde
j’ai
été vivre seul
sous
des milliers d’horloges vieillissantes
sous
les soleils à la traîne
j’ai
hérité de la tristesse
*
Recherche d’un murmure
quand elles sont passées
je
n’ai vu que des ombres volatiles
se
faufilant entre les murs
à la
recherche d’un murmure
je
n’ai rien su donner
à
toutes ces voix
j’ai
longtemps cru
qu’elles
viendraient me visiter
et
depuis que cette bulle de vide m’a englobé
je
n’ai fait que chercher quelqu’un pour la crever
*
Le désespéré et l’homme heureux
le désespéré : – »et ton chemin de vie ?
L’homme
heureux : – et ton cheminot hippie ?
–
sombre décès :
–
sonde, déchet ?
–
death to me !
–
dance to me ?
–
glaciation de l’âme
–
glace marron de l’âne ?
–
vite, changeons de régime !
–
bite, changeons de Régis !
–
sale temps pour les artistes !
–
sale sang pour les arthrites !
*
Cauchemars urbains
2. ville
en
observant les sentiers qui régissent l’âme :
elle
fait le compte des solitudes
et
les foudroie avant que des images ne jaillissent.
toutes
les fenêtres sont des prunelles
qui
détectent-régularisent-aliènent les pensées
dans
des cocons d’argent
l’étranger
à ce tumulte-censure est dévoré
3.
aube
ils
hurlent leurs sonneries de mort
jusqu’à
l’aube qui s’effrite
matin
désuet qui jette son corps
baitaille
qui m’enivre
et
dans leurs animaux d’acier
des
contrôleurs vos pensées s’ils vous plaît
mais
dans l’arcade qui s’érige
le
soleil traîne encore
j’écris
en fraude
à la
lumière des émeraudes
qui
brûlent les écrins moisis
et
renferment mes envies
*
Capitulation
toute en sucreries fades
elle
étale sa morne magie
de
déceptions magnifiques
qui
de tous temps font vivre
noire
capitulation
des
jeunes et de leurs idoles
noire
capitulation
des
immeubles pleurent
sous
l’œil fou du soleil
fous
qui perdent leur lanterne
mais
elle se souvient encore
de
l’amour et de ses suites
elle
se souvient encore
de
mes pas sur les pavés
je
vis en symbiose avec la pluie
les
ombres et les déserts
hors
des temps et des lois
et
vous aussi pleurerez bientôt
sous
l’œil fou du soleil
*
Sonnet
un serpent de lune où rêvent, ô ma torpeur
d’infinies
noirceurs aux habits de ferveur
un
sifflet de brume au regard d’argile
où
soufflent les promesses de souvenirs graciles
l’œil
dans l’azur et l’âme en haillons de lumière
l’œil
cynique d’un ciel nègre resserre
l’aube
aurosée du mal dans mes crinières d’acier
et le
repos amer m’a dévisagé
je
suis un prince hérétique et froid
fixant
les arcs-en-ciel dans les puits enneigés
rivière
de souffre sur le fleuve imbécillité
plantant
des rêves dans les cercueils fleurissant
les
pieux s’érigent impuissants indécents
distinguant
le ciel outre mes yeux de trépas
*
Mort
face aux reflets luisants
qui
violent l’obscurité
les
non-morts s’enchaînent
jouent
à se faire peur
à la
lumière
de
tous les cœurs éteints
et
mes doigts bleus
fiévreux
comme mon regard
si
noir
prennent
la couleur
d’un
sang trop pur
pour
eux
et
mes rêves prennent l’odeur
des
morts qu’ils m’infligent
tout
bas
face
à l’enseigne éteinte
et
aux pensées qui s’éteignent
et
aux mondes qui s’éteignent
l’espoir
s’est envolé
comme
un grand pavillon rose
on
meurt à n’en plus finir
vieux
fantômes d’amérique et du monde
jouent
à se faire peur
j’ai
pourtant osé aimer
la
petite fille aux cheveux rouges
en
ignorant la couleur
en
ignorant ses ardeurs
*
Requiems
1. Je t’aime… moi non plus
une
robe de fête
la
cuite avec Narcisse
aux
flancs du mont vérité
les
parties de noyade
avec
la belle de l’année
les
régressions
du
renoncement
à
l’innocence
l’espoir
qui cuisait
peu à
peu
comme
carbonisé
par
un amour trop fort
l’oubli
maladif
le
parc et le banc
comme
Everest
à ce
monde impur
les
je t’aime imbéciles
jetés
à la face
du
penseur solitaire
…moi
non plus…
2.
Exit music
les
parties de trance
sur
les guitares mourantes
les
nuits blanches
avec
les morceaux nocturnes
l’Espoir,
encore,
comme
un lambeau
parfois
je ressemble
aux
crachats de charbons
d’une
vie-désespoir
à
ces grises atteintes
au
bout du fleuve
où
gisent
ces
idoles de ciment
3.
Roads
tous
les déserts fleuris d’encens
mènent
à ma triste vie
où
se confondent
déserts
urbains
et
crachoirs déjantés
j’ai
fait patience de la joie
dans
des paysages de charbon
et de
noires cordes de guitares
retentissent
sous mes pleurs
j’ai
fouillé les parpaings
la
rouille de ces murs
pour
y trouver
forêts
et gluants océans
on
m’a greffé mille
existences
*
Attente
1.
elle
est partie,
me
laissant seul avec mes tours
sombres
et désertes
je
l’ai imaginée flottant
au
milieu de mes cheveux
des
carapaces nocturnes
elles
s’est peut-être envolée
un
matin moisi
sur
des émanations d’irréalités
ou
encore
s’est-elle
échappée
sur
l’orbite de mes désirs
je
pourrais si facilement
tomber
de sa clarté vacillante
d’un
soleil qui se meurt
elle
me laisse seul
avec
les visages sous la pluie
les
statues mornes
sur
leurs socles implorants
les
fumées de pensées
qui
s’échappent de la brume
les
spectres de son regard
elle
me laisse seul
avec
les escapades imaginaires
sous
les toits perdus
j’attends
un signe
du
pavillon de tes yeux
qui
me laisserait dans l’espérance
que
rien n’est vain,
que
les futiles édifices
ne
sont pas posés pour rien
2.
je
suis un enfant en attente
du
rythme des images,
des
sanglots de ta voix
laisse-moi
lécher tes larmes
comme
un chat
comme
un chat
et
murmurer l’infini
au
creux de tes fenêtres
tu
ignores ma vie
et
ses ascendances
je
suis un enfant en attente
de
tes sons
de
tes couleurs ficitives
et de
ta voix éraflée
par
les pleurs
3.
je
voudrais te subtiliser
l’essence
de ton existence
et te
la rendre,
magicien
morbide, en roses fanées
la
nuit a peur
de ma
nuit livide
d’ultimes
vipères régnant
sur
les jours
se
frôlent aux gouttières
de ma
moralité écartelée
on a
greffé
des
rêves suants
sur
ma peau farouche
*
Décor
on annonce
l’éclat
d’un espoir
dans
ces rues vides,
striées
de passants
comme
des veines sur les joues
d’une
fillette malade
l’aube
aura décortiqué l’horizon
on
annonce l’éclat d’un espoir
sur
ces hautes demeures
qui
tentent de jongler
avec
les pluies
ces
yeux, possédés
par
des sirènes d’égout
ce
monde qui agonise
ces
enfants de mille ans
parsemés
de rides
ces
fleurs maladives et mourantes
*
Deuil d’un fantôme
elles sont déjà finies
ces
errances incertaines
sur
les toits desséchés
et
ces yeux de chiens battus
embués
et si frêles
font-ils
déjà la queue
au
royaume des souvenirs ?
et
ces lèvres
comme
une cigarette incertaine
se
consument-elles toujours
au
toucher du bonheur ?
elle
rejoindra mes rêves
un
jour, sur ces bottines irréelles
lorsque
la solitude me reviendra