Nicolas Adriaenssens, “Révolution par la brume” (1998)

          C’est la chronique d’un recueil obscur, écrit il y a longtemps, en 1998, par un jeune poète de 18 ans. Même alourdi de maladresses – parfois même par elles – c’est un recueil intense. Comme il est introuvable, j’en donne ci-dessous de longs extraits.
         C’est creuser les années profondes ; descendre un escalier en colimaçon, dépouillé, blanc dans la pénombre. Mais c’est encore plus bas. Un puits. Et la sensation d’une douceur au rebord du gouffre ; quelque chose noir et rien.

Nicolas Stanziano - Adriaenssens - Rodolphe Gauthier
Couverture par Nicolas Stanziano

         Tout commence par un groupe de jeunes artistes, des jeunes femmes et des jeunes hommes, musiciens, poètes, peintres, cinéastes. Le cénacle qui se tenait dans une petite ville de province n’avait pas vraiment de nom. Il s’est réuni tous les dimanches pendant environ un an dans un café qui longeait le passage piéton d’une galerie. Il y aurait beaucoup à raconter sur ce petit cénacle dont le plus jeune membre avait 14 ou 15 ans et le plus âgé pas encore 19. Ambiance enfumée, bon enfant, amitié & amour inventé sans avoir encore besoin d’être réinventé ; haschish & alcool ; poèmes & chansons. Une culture hétéroclite, faite de Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, d’un peu de Nerval et – pour Adriaenssens – de Pierre Jean Jouve (et je crois aussi du mauvais Bobin), d’expressionnisme allemand, de beaucoup de musique, Gainsbourg, Brel, Ferré, de Joy Division, des Pixies, des Béruriers noirs, de Nirvana, de « Exit music » de Radiohead, de Nick Cave & Patti Smith, et, par-dessus tout peut-être, de The Doors… Quelques membres de ce cénacle formaient un groupe de musique dont le nom, trouvé par Adriaenssens qui en était le chanteur, valait manifeste : Anna Imaginaire.
 
          Il était grand et fin, les cheveux mi-longs et le visage mal rasé, assez cramé déjà pour que son refus sans concession l’amène à n’écrire que quelques poèmes sur ses copies de baccalauréat (qu’il ne repassera pas) juste avant qu’on le pousse à la cure de désintoxication, puis qu’on l’installe dans un appartement thérapeutique où il vivait encore vers 2008 je crois, l’écume aux lèvres, sniffant du Subutex entre deux bouteilles de rouge, en se rêvant, non plus Rimbaud mais, l’âge venant, Antonin Artaud. Et toujours un peu Gainsbourg.
 
         Parmi ses naïvetés et ses maladresses, grâce même à elles, Révolution par la brume est resté seize ans plus tard la plus enveloppante des mélopées. 
   
           L’histoire d’Anna l’ouvre et donne le ton.
          La quarantaine de poèmes qui suivent sont des échos et des éclats. Ils évoquent des gouttes de pluie dans une flaque. Chacun le ressentira à sa façon. Si j’en donne quelques extraits par la suite, c’est que le recueil, édité en 2002 à compte d’auteur aux éditions Bénévent, me semble en ce moment épuisé et introuvable (j’ai en ma possession un manuscrit antérieur à cette publication), mais il faudrait le lire en entier, d’une traite, le soir seul, pour se laisser envahir sans heurt par une vague lente de mélancolie. 
           Oui, peu importent les naïvetés et les maladresses, puisque comme une dernière manifestation de fin de siècle (de fin, même, de millénaire), ce ne sont pas les logiques et les sémantiques qui comptent, mais les images qui se modulent
             Le mois de novembre en point d’orgue de l’automne.  
             « Je crache des araignées qui tissent des arcs-en-ciel noirs et blancs autour de mes écrits. »
   
             Une musique des visions.
            Puisque la poésie de Nicolas Adriaenssens est une poésie des visions, dont l’ultime se dérobe à la vue que l’oreille est la dernière à pouvoir percevoir.
            Adriaenssens s’approprie la leçon rimbaldienne du « voyant », sans que ce travail aboutisse à un salut. Le « voyant » ici traverse les apparences et, au-delà des apparences, ne peut se confronter qu’au pur néant.
            Du coup, les visions ne sont pas en couleurs, mais en noir et blanc. Les couleurs sont même dénoncées comme attribut du mensonge général et de l’illusion : « Le monde autour d’elle est gris mais zébré de fausses couleurs », « j’ai ôté les couleurs de mes yeux / afin de t’aimer tendrement ». La nuit seule est supportable, où tout est noir et blanc, ou gris. Et c’est ce gris qu’il faut saluer, ce gris d’une douceur tendre qui pourtant est le dernier seuil avant le noir.

« Les couleurs sont mortes. Fêtons l’avènement du gris ».

           Dans le noir absolu, il ne reste plus que la musique. Le monde, devenu autre (on retrouve la deuxième grande formule de Rimbaud bien sûr : « Je est un autre »), détaché des ressemblances, des référents, des images, n’est plus sensible que par la musique. Celui qui se fait musique peut, un instant, sans l’écart de la conscience, devenir flux s’épuisant essoufflé dans le néant. La musique est une extase et elle est éphémère : « L’auteur de cette mélopée est Nicolas de Novembre et une fois récitée, elle retombe dans le creux de l’oubli. » Existant dans l’instant, elle n’a plus lieu d’être en souvenir. Pas de nostalgie : le souvenir est un mensonge et une illusion comme le reste. Et ce n’est pas ce monde-là où vit le poète.
            Il y a l’exigence d’un monde sans illusions. C‘est un exercice de désillusion jusqu’à cette désillusion totale qui est recherchée – ou plutôt fouillée (« Sous l’obscurité ne se cachent que des gouffres plus grands encore ») , puisqu’on est déjà loin dans l’état de dépouillement.
            Comme symptômes, outre l’absence de couleurs, le décor urbain : la ville, l’asphalte, l’errance. Un goût pour les forêts post-industrielles, celles qui ont été replantées par compensation et qui n’ont plus l’aura des loci amoeni traditionnels. Ce sont ces lieux désolés, presque des non-lieux, qui attirent le poète : là, il n’y a pas d’illusions, pas d’urbanisme, pas d’architecture, pas d’art officiel, pas de tour Eiffel. C’est l’aire d’autoroute qui sert d’espace (de scène) à Débris d’une nuit : « Pour personnages en trompe-l’œil divaguant sur une aire d’autoroute ». Ce n’est pas une emprise sur la réalité, il fut même un temps question dans le cénacle de nommer cet embryon de mouvement « l’Irréalisme » : la réalité est niée, fuie, puisqu’elle n’apporte rien de bon. Ce n’est pas « Zone » d’Apollinaire : nous sommes « hors zone ». La rue est vide, les passants sont tristes, eux-mêmes esclaves et victimes, jamais bourreaux – sinon malgré eux –, et leur joie est toujours fausse : « Aux lendemains, quand les masques festifs se fissurent en fragments mornes, etc ». Le monde présente deux niveaux : celui de la Société, qui est une surface (déclinaison poétique de l’analyse de Debord), et derrière cette surface, le gouffre.
             Adriaenssens se sert encore des derniers lambeaux qui lui restent sous la main. Deux principalement.
           Le premier est la figure de l’artiste, qui confine au mythe. « L’homme est bon, puisque l’homme est artiste. » Mais il ne s’agit évidemment pas du poète prophète, du poète génie, du poète glorieux, mais d’une variante du poète maudit, poète contre la société mais aussi contre lui-même, car condamné à un art qui l’abîme plus qu’il ne le sauve. Et c’est cela la variante. Alors que les poètes maudits se drapent d’art, ici il se sert de l’art pour fignoler l’équarrissement. « L’écriture est un deuil, car à chaque mot, ce sont des sentiments qui meurent. Les mots sont si réducteurs… » La sublimation par l’art lui est interdite, et « condamné à la banalité » il ne se démarque en rien de ses semblables : « Lui : Et vous, que voyez-vous en moi, une chimère ? Le Voyageur : Non, surtout un pauvre type ivre mort… » (Débris d’une nuit). Il n’y a pas de haine de l’autre, pas de violence, mais presque de l’humour tendre, et une immense pitié. C’est que tout le monde, encore une fois, est conscient du néant (de la vanité) de toute chose, traîne (erre) en cherchant, ici ou là, par l’amour, à faire de cette tension d’équarris (d’écorché) une extase de l’intensité.
           Le deuxième, c’est Anna. Espoir du non-espoir, figure ambivalente de la rédemption qui serait l’impossibilité totale de rédemption, l’énergie onaniste d’un définitif retour sur soi destructeur.
        
               C’est la révolution.
             François Raviez, qui avait écrit un texte (vers 1998) quand Adriaenssens lui avait fait lire le sien, s’était borné à enregistrer le fait et à opposer sa petite vision propre d’une révolution par la lumière. Il n’avait pas compris, je crois, en quoi consistait vraiment cette révolution, une fois l’interprétation adolescente écartée.
              Cette révolution fonctionne comme plusieurs renversements de valeurs, peu importe qu’elles nous semblent (en amont comme en aval) positives ou négatives. Dans ce qui pourrait s’apparenter à une dialectique de la tristesse, le troisième mouvement nous ferait parvenir à la mélancolie la plus pure, qui est la condition de cette révolution.
            On ne sait au juste si elle doit être personnelle ou sociale. En tant que le poète n’est pas dissemblable des autres humains, elle est les deux à la fois sans doute. Le monde entier, du sol aux étoiles, est bouleversé par la mise en jeu du poète révolutionnaire. Mais, malgré les apparences justement (car cette révolution devient le titre du recueil), elle n’a jamais été une finalité (une fin en soi) aucune révolution ne l‘est –, mais elle est une gageure qui n’est que la dernière des illusions. C’est un pied-de-nez plus qu’un programme ou une revendication. Ici aussi on sent cette auto-ironie qui innerve, en la rendant plus douce et plus attachante, ce spleen qui n’a rien en fait de complaisant mais qui est une pure intuition du néant.
              Car que reste-t-il après toutes ces apparences ?
            C’est, à force d’irréalité constante, une narcose qui envahit le lecteur. Une hypnose. L’épaisseur du rêve. Accompagné dans cette catabase par la figure d’Anna, nous descendons toujours plus bas jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien. Car après la révolution par la brume, il ne reste rien. Anna nous lâche la main, et nous baignons dans un noir sans mystère, un noir plein, qui est un néant.
              C’est cette ultime vision, qui ne peut plus en être une, qui ne peut même plus être une mélodie, qui est le don (la « part maudite » bataillienne) de cette poésie, et qui nous pousse peut-être vers toutes les poésies.
              C’est une autre pratique du quotidien. Nous sommes tous Rimbaud, mais la plupart l’ont toujours refusé. Entrer dans la société, c’est tuer Rimbaud. Et même si on professe sa foi indéfectible en lui, même si on s’en réclame, comme on peut se réclamer d’Artaud également, jouer le jeu de la société, être intégré à elle, publier même, c’est toujours trahir Rimbaud. Ce pourquoi il ne faut s’en réclamer sans être ridicule. Cela peut paraître simpliste, voire simplet, mais c’est juste simple.
                – C’est ainsi.


*




Histoire d’Anna


Anti-poésie en plusieurs esquisses
Pour acteurs fabuleux entourés d’images magiques

Naissance d’Anna


Anna est née et le monde s’est tu, au dehors de sa peau. Le sol était si pur et les arbres si nus sur son passage. Ma vie frêle ne tenait qu’au fil de ma tristesse et aux souvenirs naissants. Sur le sol assoiffé de nature Anna déverse mille miroirs de beauté. Elle a découvert la magie et étale des millions de rêves sur les crânes dégarnis de l’autorité. Anna, née au printemps, aurait pu convertir le monde à la beauté.
Dans sa magnifique ignorance, elle ne fuie pas encore, elle ignore tout des regards apeurés qu’il faudra cacher sous sa pureté pour survivre dans le monde des spectres. Une nouvelle religion est née dans la forêt : celle de la beauté. Les arbres timides et pudiques cachent leur laideur de bribes de ciel bleu. Le lac cherche à refléter les pensées d’Anna qui marche, insouciante.
Le vent murmure un hymne à la pureté et les feuilles tombent à la cadence du cœur d’Anna.
Tout n’est encore que rêve quand Anna avance, habillée de nature et d’océans d’images, vers son destin, orage dans un ciel d’été. Tout aurait été possible si le monde, ce matin, s’était arrêté de battre pour vivre mille rêves de pétales rosés aux pas d’Anna.

Atteinte


Tout n’est déjà que souvenirs lorsque Anna progresse dans les friches de travail, première atteinte du monde extérieur. L’incompréhension guette son regard et Anna se sent nue sans ses habits de lumière.
Au-delà du jardin secret, se dresse une noire montagne embourbée de suie et de cauchemars. Anna voudrait éplucher cette noirceur pour en retirer des abîmes de beauté mais sous l’obscurité ne se cache que des gouffres plus grands encore. Dix mille enfants, sous l’Œil de la bêtise, travaillent à la chaîne, creusant et meurtrissant chaque jour un peu plus leurs rêves.
À côté d’eux des chiens de garde masqués, sans visages se tiennent, obéissant aux lois de la Noire Société. Les soleils, jadis souriants, complotent contre la beauté d’Anna, tenant conseil pour entretenir l’obscurité.
– ils travaillent encore – et au-delà de leurs regards, des monstres d’acier, de sombres machines ont volé leur humanité.
L’inutilité est derrière chaque geste, chaque œil, mais personne ne le sait. Les Fuyants ont affirmé qu’ils seraient heureux.
Anna résiste, refuse de noir l’entrée dans ses pensées pures, laissant aux ombres le monopole de la laideur.
Poursuivie par les rayons du mal et son long cortège de folies elle court, l’infaillible certitude de bientôt se réveiller au printemps parmi les fleurs de la beauté.


Déjà corrompue par les visions, déjà consciente, le sol se fait gris sous les pas d’Anna et les fleurs du bien se meurent sous la pureté tâchée. Déjà les prémices des interrogations s’immiscent en son âme, quand, sur son chemin de vie, se dresse une porte avec le mot cinglant : REALITE

Nicolas de Novembre

(autoportrait)

Dans l’hôpital de mes démences, je fume des rêves en hiver mais la fumée n’est que haillons.
Je suis né dans un bois noir où chantent les hyènes ; la rivière qui coulait n’était qu’un écoulement continu de sperme où flottaient des vices multiples.
Je suis né dans une forêt de pianos écorchés où les notes m’attirèrent plus que la grisaille
Je suis né dans les plaines de l’incertitude, scrutant l’horizon de mes poings acérés afin de trouver le repos.
Je suis né dans un hôpital où les anges dirent que j’étais irrécupérable, condamné à être poète.
Je suis né sous un toit de béton armé, tentant vainement de m’échapper à chaque envolée lyrique.
Les orages se déclenchèrent à chaque incertitude, et les dieux me condamnèrent à la banalité, que je refusais de toutes mes forces.
Et des personnages imaginaires s’échappèrent par erreur de pages sombres de mes poèmes, pour s’incruster dans ma conscience.
Je fixe des angoisses sur papier. Je suis un alchimiste de la douleur mais la pierre philosophale n’est qu’illusions, sang et pluies. Par-delà les cauchemars se dresse une vérité première qu’il me faudra atteindre pour partager un triste privilège avec les mortels : la vision du néant, de l’indicible.
Sur les cordes de ma guitare et dans les entrailles d’un ampli se cache la part du vide, la peur du vide.
Les souvenirs me dévorent et les automnes de ma vie se succèdent à un rythme printanier.
L’insecte de la mélancolie bourdonne à mes oreilles comme un fruit trop mûr. La folie me murmure une douce romance.
Je crache des araignées qui tissent des arcs-en-ciel noirs et blancs autour de mes écrits ?
Mes yeux magnifient le néant et mon regard vide s’échappe souvent.
Mais dans ma solitude se cache un espoir : Anna, que j’ai créée pour réchauffer mes pensées d’un linceul de pureté.


Mais l’heure n’est déjà plus à la poésie mais aux amères descriptions de la réalité.


Vous teniez l’amour dans vos bras sans savoir qu’elle se tenait là, sage et immobile.
L’amour est une femme. Vue de devant, magnifique et lumineuse. Une aube éternelle. Derrière, des vers lui perforent le corps et strient la peau de labyrinthes fangeux. Vous la teniez tout de même, car vos pauvres sens humains n’ont plus voulu percevoir que le bon côté.
La vie se réduit à la métaphore de l’amour : le mal nous pousse tellement par derrière qu’on ne voit que le bien.
Le mal m’a poussé sur un mur, et j’ai été forcé de faire demi-tour. Regarder.
*
Anna ouvre la porte.
*
Nous devions avoir une dernière illusion, avant de mourir. Nous devions faire semblant de croire que nous existions – J’entends par exister être hors du commun des mortels – Nous refusions le monde comme on refuse un chemin, si propre qu’il en devient laid.
Derrière les rires de Max et les grimaces obscènes de Nicolas, se cachait cette peur inouïe, dévorante.
Non satisfaits de n’être pas du tout, nous avons choisi de n’être rien, expérimentant le vide et la description des pensées pour arriver à une autre perception du beau. Et le vide s’est dissipé, remplacé par une substance merveilleuse : l’Art.
*

Réalité


La réalité est une cave. Un penseur, perdu dans des denses lumières oniriques, se tient sur un trône noir. Ses yeux fermés font penser aux phares éteints d’un camion qui fonce sur un homme, dans une nuit sans étoiles. Est-il mort ? Anna s’avance. Il ne bouge pas.
La lumière blafarde murmure des blasphèmes, soleils de charbon. Le lieu sent la révolte et l’orage. La cave entière est en deuil. Des cortèges d’ombres ont élu domicile derrière les réflexions du penseur. Placardées au mur, des affiches déshabillent l’humanité de son voile de bonté. Eisenhower découvre les corps étendus par la barbarie. Un homme est en train de tuer sa femme, le sourire aux lèvres. À côté de l’horreur, l’espoir chante « ne me quitte pas »
et les images sont les lettres des mots qui viennent à la bouche d’Anna, si révoltés, si incrédules.
De l’autre côté de la cave, s’ouvre une porte, d’où déboulent trois adolescents, le regard vague, les yeux en spirale, semblant scruter l’infini. Anna recule, se cache et observe.
L’un d’eux s’accroche désespérément à un micro, le visage barré d’une cicatrice, l’autre se cache derrière le rempart de palpitements d’une batterie, l’autre enfin torture sa guitare, sadique.
Et le chant glacial retentit, comme une vérité première aux oreilles des mortels, dont personne ne voudrait.
Un chant qui rappelle la lune, le soir aux envies de meurtres, lorsque la terre s’arrête un instant pour contempler le mal qui lui gratte la peau de mille pustules venimeuses.
Le chant se prolonge et les étoiles Espérances, barrant le front des mortels, s’éteignent une à une.
Vous êtes-vous déjà réveillés en pensant à ce chant, la veille de l’enterrement de dieu ?
Vous l’avez déjà marmonné, le matin au ciel fondant, au soleil de chocolat, lorsque les montres s’arrêtent pour murmurer un adieu aux vies trop fades, aux vices trop envahissants.
Un chant possédé par la beauté, le mal, la destruction, la folie.
Et les forêts de pieux s’érigent, où s’enracinent des cadavres empalés.
Des pétales de roses s’ouvrent et se referment, au gré des palpitements.
Des perles d’orages se créent autour d’accords de guitare.
Possédée par une furie, la voix perd tout contrôle et voudrait s’envoler.
La chanson s’arrête.
*
Et le rêvent devint réalité… ou cauchemar
(Nicolas N.D. a créé Anna)
Tout se joue en un seul regard. Nicolas et Anna s’aperçoivent de l’horreur qui les a fait exister. Anna, condamnée à être pure dans un monde de pluies vermoulues.
Nick, condamné à être sale dans un monde de spectres vagineux. Anna, idéal féminin, créée par l’homme qui pue l’amour. Le penseur s’éveille, parle en métaphores.
Tous se tiennent la main et sortent de la cave. Veulent découvrir le monde sous d’autres yeux que ceux de la corruption. Anna, sous ses habits de feuillages au printemps, semble ne douter de rien. L’homme est bon, puisque l’homme est artiste. Ils marchent, elle pleure. Ils marchent, elle vit encore.
*
L’œil
Des spectres grisonnants marchent dans les rues.
Le printemps frêle dégaine ses armes de beauté, mais sous l’arcade de Mars, personne ne scrute l’horizon. Un vieux conteur déjà mort récite une vieille histoire bien connue ; tous les regards se sont aiguisés :
« l’Œil est partout présent
il déniche et me prête
grâce aux apparences
des pensées que je ne possède pas
des rêves que je ne supporte pas
des vices auxquels je ne succombe pas
et quand l’Œil arrête
son intrusion passagère
dans une âme d’emprunt
il en reste des traces
et il en reste des traces…
L’Œil est pire que les spectres qui rongent les sépultures
car l’Œil est en nous
chaque fois que nous vivons »


L’auteur de cette mélopée est Nicolas de Novembre et une fois récitée, elle retombe dans le creux de l’oubli. Les gens dans la rue perçoivent ce curieux groupe d’éveillés, la beauté d’Anna trônant au milieu, et se grattent l’oreille, perplexes.
La découverte commence.
*
Anna est seule, dans un cimetière militaire, où les croix débordent du grand vase de la mort comme des fruits trop mûrs à la fin de l’été. Le prophète se dresse au milieu d’un chemin et murmure cette longue plainte :
« Des papillons noirs survolent leurs rêves
des chimères malsaines les dévorent
les anges sont déportés par millions
dans les camps d’ossements de démons

le mal est vieille putain monotone
qui revient s’asseoir aux pieds des mortels
le mal est une belle-mère
que chacun connaît
et qu’ils finissent par aimer

le chemin est long vers l’homme
et tissé d’écorchures »


Au-delà des paroles amères, le ciel écorché murmure de longues traînes lumineuses. Le jour stoppe le combat et les étoiles s’allument, en guise de victoire. La morne folie de la nuit guette déjà les lumières survivantes.
Anna marche toujours sur ce pont surplombant la rivière du mal, où l’eau, endormie depuis toujours, menace de se réveiller à chaque instant.
*

L’Écriture est un deuil, car à chaque mot, ce sont des sentiments qui meurent. Les mots sont si réducteurs…
Des gouttes de vérités sont les larmes d’Anna. Là où la vie respirait, on ne trouve que des déserts de souffre, et des vides de pensées plus grands encore. Le rien n’est encore plus beau que l’esprit de l’homme.

*
Nathanaël fuyait le mal car on ne fuit son maître qu’à toutes jambes. L’inventivité maladive de l’écrivain aura rattrapé ses pas avant la mort de la lumière.
Dans les jardins du bien, jadis, Nathanaël a découvert des fruits hypocrites dévorés par les vers. Avant de tuer pour la première fois, il cultivait des champs, sous terre, où les sillons étaient des veines écorchées et les soleils des assiettes immenses striées de fourches ensanglantées.
À l’aube, il refermait les livres pour s’adonner à la banalité. Chaque homme, à la nuit tombée, ouvre dans son esprit des livres insoupçonnés, où s’entremêlent le bonheur et le sang. La vie est un iceberg dont la partie visible est la lutte hypocrite contre le mal. Nathanaël était plus philosophe que tous les philosophes. Voici la vérité, mesdames et messieurs. Tapez bien fort dans vos mains.
*
« les enfants rongés par le sel
ont couru la nuit sur la plage
sortant de grands oriflammes
nommant leurs idoles
crustacés de la mer

ils ont déposé aux immeubles défigurés
des offrandes de nerfs
en brûlant les hommes
pour arrêter le temps

les poètes de l’âme dévorée
se sont entretués
à l’aube du grand escalier
qui pend les routes vers l’enfer

sur les nuages plaintifs
le combat continue ;
que pleuvent les hurlements

le monde est un glaçon
sur lequel les âmes fondent
l’ère glaciaire est arrivée
l’ère glaciaire est arrivée

et sur l’encens palpitant
des bombes éclatent en sanglots
au lieu de tomber
sur vos crânes déjà meurtris

les oiseaux s’échappent
tant qu’ils le peuvent
les camions écrasent leur conducteur
sur l’autoroute de la mort

les choses prennent vie
et la folie peut commencer
le rideau est ouvert
que tombes les nerfs du spectateur

que brûle l’argent
que s’effondre cette société maudite »

(décor plaintif et ténu, où la neige semble être un miroir où contempler nos dépressions, où la neige paraît être un abîme où chuter sans fin)
(le rideau s’ouvre)
(les acteurs sont assis dans une flaque de soleil)
(le penseur finit de débiter la mélopée, et se tait)
(Anna cache son visage sous des mains arides)
(la nuit est immortelle)
*

Ce n’est pas moi qui ai dit ça, c’est un être perdu dans les froids méandres de l’année dernière ; j’ai dû le laisser fondre dans les glaciers rouillés de Novembre, en quête de la fusion des âmes ; j’ai dû le laisser chercher le mal à la racine et transplanter les germes dans toutes les consciences ; j’ai dû le laisser s’échapper dans les nuits ensoleillés où fleurissent les vices au printemps, comme des groupuscules de haine. C’était moi, tout de même. (contradiction).

*

Anna est affalée dans l’atmosphère sanglante d’un café. La nuit toujours… les acteurs font offrande de leur pensée à l’obscurité. L’espoir est malade et les lumières du café s’éteignent une à une.
Les défaites germent dans les yeux d’Anna.
Un cendrier est posé sur une table désertique où tombent les pensées qui se vomissent du crâne d’Anna, et tombent dans le cendrier, cimetière philosophique. Elle rêve…

*

La population de la forêt a pris vie à travers les rêves d’Anna. Elle est seule au milieu d’une place encombrée d’arbres où les branches s’entrechoquent, hypocrites. Le sol est jonché de cnedriers, seul signe de la non-réalité des lieux. Des vapeurs de sueur et de futilité s’en échappent encore. Une sève odorante, suave et sensuelle s’échappe voluptueusement des arbres. Les arbres, squelettes dégarnis tels des hommes face à leurs vices, courent, recherchant le bonheur tout en trébuchant sur des ronces. Des cœurs battent à tout émouvoir, survivent et s’arrêtent. Anna écorche les veines des arbres où la sève coule à flot.
Elle s’arrête et contemple son bras nu, longuement. Elle approche le couteau. Un oiseau découpe le ciel en orages lumineux. La faille commence à tronçonner son cerveau. L’eau sale est éveillée en elle.

*

Elle est vivante, car l’humanité lui a donné un don qu’elle s’est découvert : la lâcheté. Les regards apeurés des hommes dansent dans son âme, tandis que le couteau est refoulé dans sa poche. Elle contemple son visage, dans une rivière sale, où des ombres de pureté s’efforcent de refaire surface. Dans ses yeux, elle découvre des océans où des marins, abrutis de travail, se jettent à l’eau. Dans ses yeux, elle contemple l’immuable ; elle voit des plaines gelées où courent des espoirs frigorifiés, en loques, et si sales…
Elle veut croire à la beauté de son visage qu’elle entrevoit pour la première fois, découpé par les vaguelettes.
Un visage qui pourrait tomber amoureux d’un arbre, où des vagues d’un rêve humain sur sa peau. Un cendrier gît au fond de l’eau et ses pensées se fissurent.

Le cendrier est posé sur la table. Le rêve est terminé.


*

Réalité : diverses couleurs


(rue sans lumière)
Nathanaël : « tu n’es qu’une pute
ne crois pas, mon amour,
que je cultive des jardins secrets
où tu figurerais en déesse
tu n’es qu’une pute
lorsque les statuettes auront détruit leur piédestal
elles marcheront vers toi
libérées de leur joug d’acier
tes yeux alors
implorant la raison
de revenir vers toi
comme la corruption
vers les lanternes noires
murmureront un pardon
à l’effigie de la nuit »
(il la lâche)
Anna : « les esquisses symphoniques de la tristesse ont trouvé leur musicalité dans le noir de ton océan ; pourquoi laisses-tu tes yeux jouer la méditation de Thaïs ? »
Le penseur : « Le noir qui s’échappe est une offrande au bleu hypocrite »
Anna : « Pourquoi t’enveloppes-tu de deuil? »
Le penseur : « Il existe d’autres réalités. La mort n’est qu’un déguisement.
(éclair furtif au fond des yeux)
Les couleurs sont mortes. Fêtons l’avènement du gris. La chasse aux sorcières recommence. »

*

(cave)

Nicolas de Novembre : « Tu as vendu tes yeux au grand marché des couleurs corrompues… Je t’avais imaginée papier blanc, des tâches d’encre parsèment ton corps.
Je t’avais rêvée pure, des ombres nagent déjà sous les eaux claires. J’avais tiré de mes angoisses une fée auréolée d’intentions naïves, te voilà sorcière. »
Anna : « Peut-être ne suis-je que moi-même. »

*

(Stanz)
(place d’armes)

Le chant atroce des comptables attablés le dévore.
L’effroyable impuissance des gens à le faire rêver l’avale. La divine banalité prônée par les mortels l’accable. Les gens jouent la symphonie de l’hypocrisie et il tourne, sur lui-même, imitant le mouvement de l’éternité, hurlant des hymnes à la liberté.

*

À la musique

(Aubry-du-Hainaut)
(espace vert)

Tandis que les bourgeois fêtent l’arrivée de la tristesse, sans qu’aucune fêlure ne vienne parsemer leur monde égoïste, Rose joue la mélodie de la pluie. Bordée par les émanations musicales, la verdure semble se reposer dans un lit de ronces. Les doigts de Rose qui courent sur le piano murmurent des rêves. Le monde autour d’elle est gris mais zébré de fausses couleurs. Un miroir est posé devant le piano, et le regard de Rose est enchaîné à ses propres yeux, captive du miroir.
Le regard des autres ne l’oppresse plus ; elle approche de la liberté.
Les notes s’échappent de ses doigts, bribes de pureté dans un monde imaginaire.
À chaque note, le monde se refait, comme autant d’affronts et de trêves lancés aux guerres.
Les immeubles deviennent des contes de fées où les enfants règnent en rois ; les nuages prennent la couleur de l’arc-en-ciel.

*

Mélopée


(Philippe)
J’avais caché des vérités (en arrachant une horloge).
J’avais surnommé Diane la déesse du feu. Elle m’avait englouti de cendres amoureuses à coups de magies blanches (en renversant un cendrier). Elle avait fui la réalité pour enfoncer dans mon crâne des paradis verdoyants. Elle avait construit des souvenirs futurs voluptueux. Le présent était un rêve et le futur déjà bâti. J’avais écrit des poèmes qu’elle avait avalé. J’avais imaginé des songes pour envelopper son corps d’éternité. J’avais moi aussi enveloppé son âme des cendres de sa nuit passée.
L’amour était immortel et la nuit si loin…

*

Final


(tous les acteurs)
(rue)

Les fantômes de la société, que l’on croyait oubliés grâce à la transcendance poétique, apparaissent au coin d’une rue. L’un habillé de rayons noirs, à l’allure d’une flèche. L’autre, perché sur ses pensées ignobles le suit avec peine. Une autre encore, juschée sur de hautes chaussures pour manifester la grandeur qu’elle n’a pas, brandit un couteau. Ils se précipitent sur eux.

*
Une heure avant (café)

Espoir


Les violons s’accordaient. Les bouches se rejoignaient sous des paroles entendues. Les âmes se fondaient et la compréhension s’immisçait dans les paroles. Ils parlaient d’oubli, de vapeurs illicites, de chemins épineux vers le bonheur, de calvaires constructifs. Ils parlaient d’aurores à bâtir, de sentiers de vies à reconstruire ; rêves à l’abandon de la raison…

 *

Final


Tous gisent sur le sol, symbole de lassitude et d’abandon paisible.

Verdict


Le prophète s’avance, s’extirpant de son trône délabré
Le penseur est condamné à l’immortalité.
Nicolas est condamné à la banalité.
Stanz est condamné à la folie éternelle.
Philippe est condamné aux regrets.

Pour avoir rêvé…

FIN
…écrit dans l’urgence d’une vie meilleure…
Nicolas De Novembre / Novembre 98

*

Lettre au vide qui murmurait une mélopée le dimanche matin, vers neuf heures


Aux lendemains, quand les masques festifs se fissurent en fragments mornes, et que la lumière murmure encore des regrets à la nuit passée, la plénitude du rien s’installe confortablement aux fauteuils cloutés de la mort. L’arrière-goût d’un amour fuyant s’échappe en langueurs amères vers le ciel blafard.
Certains vont à la messe, d’autres murmurent de doux blasphèmes à la journée naissante.
L’âme d’un chien abandonné gémit encore sur les toits de la solitude. La nuit cachait mes regrets, enveloppait mon visage de couleurs anarchistes. La nuit est à nu et se cache jusqu’au crépuscule. J’avais remarqué, sur les étoiles, des élans de poésies inhumaines que nul n’avait songé d’agripper.
J’avais frôlé, du bout des doigts, des systèmes de pensées différents.
J’ai entendu les « je t’aime » dégarnis des arbres implorant la nuit, les feuilles qui se mêlent dans des ouragans lumineux.
L’âge de la magie noire a maintenant sonné aux portes de la perception. Et maintenant je vous sens, ô vide et t’ai tour compris.
Vous n’existez que dans mes défaites.

*

 

La Peur


les cheveux glacés
sur leurs plants
algues foudroyées ;
la solitude qui radote
la mort qui étend son voile
par-dessus les yeux lumineux
d’une fillette empoisonnée ;
les monstres prêts à bondir
sur l’asphalte craquelée
l’errance immortelle de la lumière
après l’oubli volontaire
dans les canaux vaporeux
de l’alcool
les demeures putréfiées
qui viennent frôler
les traînées d’avion
la peur qui engloutit les passants ;
la solitude qui bouffe les ombres
pour hurler dans ma tête,
le calvaire agonisant des dernières lueurs :
la peur

*

La mort défigurée


Je marche et je te cherche dans ces bois noirs.
Je cours, peu à peu, affolé
à l’idée d’infinies souffrances.
Des ronces retiennent mes pieds.
Si ton cadavre ne vient pas à moi
je viendrais le chercher.
Plus rien n’existe, sauf ces éraflures
aux relents de ténèbres.
Toutes les étoiles semblent chuchoter
l’hymne
de ma vie perdue.

Des arbres veulent m’enlacer de leurs branches enneignées.
La nuit semble s’affaiblir.
Il fait froid.
Partout dans ce monde, les vivants
s’accrochent à mes pas,
que laissent en suspens l’idée d’espoir.
Et puis l’idée de ténèbres semble s’évanouir :
tu gis, morte, enrobée de certitudes,
sur ce sol
délavé par les illusions mourantes
d’une immortalité.
Je vais me pendre à tes pieds,
au-dessus d’un gouffre.

*

Tueries


le temps est immobile
aux longs pieds de la falaise
Anna en ce jour de deuil
sent le poison
s’immiscer dans ses poumons

elle crache alors des mots
surgis de l’ombre
qui bâillonnent les mortels

elle allume les étoiles une à une
pour fixer le décor et pour parfaire son œuvre
elle implate des comètes
NUIT

Anna cette nuit s’alanguit par souci pour son ennui
pour tuer le temps il faut d’abord tuer les hommes
Anna a très bien compris cela

cueillant des fourches dans l’antre du diable
elle pénètre dans les lumières rougissantes
et s’acharne à détruire les hommes

sombre Marie

quitte ces mornes habits
sombre tourment
déserte cette âme d’enfant

sombre Marie
en ce monde morne et serein
délaisse tes vœux
dans le caniveau

délaisse tes larmes
au seuil de la tristesse
délaisse ma raison
au seuil de ta conscience

sombre Marie

quitte maintenant
ces habits de vivant
et vers le ciel implorant
murmure tes sentiments

*

Cristallisation


ne trouves-tu pas ces baisers vains,
fille noire autour de quoi
rien n’existe ?
j’ai ôté les couleurs de mes yeux
afin de t’aimer tendrement

je suis le bateau échoué
d’entre tes seins
la brume qui navigue
au creux de ta haine
ma chérie
sache
que tu me tronçonnes le cœur
et que nulle brise douceâtre
ne vient baver sur les morceaux

et je te regarde
crétin apprivoisé
me détruire paisiblement

sais-tu que ton mépris m’élève
dans les vapeurs langoureuses
de la haine sinueuse

je pleure mais ne suis pas pluie
au grand dam des symboles

et ma semance est vaine
j’aurais beau chialer
je serais toujours
ce grand port désert
où les bâtiments se taisent, amers

je serai toujours une langueur monotone

*

Dernier regard


son regard qui pleure
dans mon œil qui coule
oh ! je ne sais plus de quoi souffrir !
son regard de coton
son noir chapelet d’ivoire

sa détresse si semblable !
elle me foudroie
comme pleurent ces effets de nuit
au beau milieu du jour
sur la boue de mes souvenirs

Ô cathédrale des sens !

*

Octobre 97


sous les ciels de l’emmerde
aux traînées de gerçures
la neige déshabillait la nuit
de ses ténèbres

et de bars en sommeils
erraient des sentiments
– et quand on comparait
nos univers, tu t’en souviens ? –

j’étais la solitude nacrée
tu m’offrais la brise en baisers
j’étais la mer figée
tu m’offrais des vagues

on apercevait l’espoir
au détour d’une mort
on fuyait la vie
sous des lampions de chimères

*

Depuis l’éternité


c’était une noire forêt où s’étalait la nuit
de tout son long, comme un tapis d’Orient
Shéhérazade disperse ses prières
depuis des millénaires
parmi les saules qui pleurent la défaite du jour

depuis l’éternité, elle rôde
dispensant ses rêves aux alizés
depuis l’éternité
un nid de pleurs reposed’enfant7
dans chaque arbre

et flotte, par-dessus le lac embrumé
son fantôme d’argent
squelette lumineux
et partout où les vérités se perdent
elle sombre, sombre dans des rêves d’enfant

et quand l’aube enfin, narguant la nuit,
louange à la beauté
elle s’endort

*

Renoncement


j’ai été vivre seul
sous de multiples cascades d’or
ensanglantées
par de mystérieux regards

avec ma conscience et quelques vivres
j’irai dans tous les abysses
par tous les chemins
qui ne mènent qu’à l’oubli
jusqu’au seuil de ton amour
où les fleuves de la terre ne coulent plus
faire l’amour à des ombres
et des souvenirs

mon œil nage
dans les eaux folles
de l’océan nuit

mon cœur palpite encore
sur tes rives
j’en suis sûr

j’ai été vivre seul
là où mes larmes sublimes
répondaient à tes échos
lançaient de violents appels
à l’obscurité

tes mots résonnent en mon monde

j’ai été vivre seul
sous des milliers d’horloges vieillissantes
sous les soleils à la traîne
j’ai hérité de la tristesse

*

Recherche d’un murmure


quand elles sont passées
je n’ai vu que des ombres volatiles
se faufilant entre les murs
à la recherche d’un murmure

je n’ai rien su donner
à toutes ces voix
j’ai longtemps cru
qu’elles viendraient me visiter

et depuis que cette bulle de vide m’a englobé
je n’ai fait que chercher quelqu’un pour la crever

*

Le désespéré et l’homme heureux


le désespéré : – ”et ton chemin de vie ?
L’homme heureux : – et ton cheminot hippie ?

– sombre décès :
– sonde, déchet ?

– death to me !
– dance to me ?

– glaciation de l’âme
– glace marron de l’âne ?

– vite, changeons de régime !
– bite, changeons de Régis !

– sale temps pour les artistes !
– sale sang pour les arthrites !

*

Cauchemars urbains


2. ville

en observant les sentiers qui régissent l’âme :
elle fait le compte des solitudes
et les foudroie avant que des images ne jaillissent.
toutes les fenêtres sont des prunelles
qui détectent-régularisent-aliènent les pensées
dans des cocons d’argent
l’étranger à ce tumulte-censure est dévoré

3. aube

ils hurlent leurs sonneries de mort
jusqu’à l’aube qui s’effrite
matin désuet qui jette son corps
baitaille qui m’enivre

et dans leurs animaux d’acier
des contrôleurs vos pensées s’ils vous plaît
mais dans l’arcade qui s’érige
le soleil traîne encore

j’écris en fraude
à la lumière des émeraudes
qui brûlent les écrins moisis
et renferment mes envies


Capitulation


toute en sucreries fades
elle étale sa morne magie
de déceptions magnifiques
qui de tous temps font vivre

noire capitulation
des jeunes et de leurs idoles
noire capitulation

des immeubles pleurent
sous l’œil fou du soleil
fous qui perdent leur lanterne

mais elle se souvient encore
de l’amour et de ses suites
elle se souvient encore
de mes pas sur les pavés

je vis en symbiose avec la pluie
les ombres et les déserts
hors des temps et des lois
et vous aussi pleurerez bientôt
sous l’œil fou du soleil

*

Sonnet


un serpent de lune où rêvent, ô ma torpeur
d’infinies noirceurs aux habits de ferveur
un sifflet de brume au regard d’argile
où soufflent les promesses de souvenirs graciles

l’œil dans l’azur et l’âme en haillons de lumière
l’œil cynique d’un ciel nègre resserre
l’aube aurosée du mal dans mes crinières d’acier
et le repos amer m’a dévisagé

je suis un prince hérétique et froid
fixant les arcs-en-ciel dans les puits enneigés
rivière de souffre sur le fleuve imbécillité

plantant des rêves dans les cercueils fleurissant
les pieux s’érigent impuissants indécents
distinguant le ciel outre mes yeux de trépas

*

Mort


face aux reflets luisants
qui violent l’obscurité
les non-morts s’enchaînent
jouent à se faire peur
à la lumière
de tous les cœurs éteints

et mes doigts bleus
fiévreux comme mon regard
si noir
prennent la couleur
d’un sang trop pur
pour eux
et mes rêves prennent l’odeur
des morts qu’ils m’infligent
tout bas

face à l’enseigne éteinte
et aux pensées qui s’éteignent
et aux mondes qui s’éteignent
l’espoir s’est envolé
comme un grand pavillon rose
on meurt à n’en plus finir

vieux fantômes d’amérique et du monde
jouent à se faire peur

j’ai pourtant osé aimer
la petite fille aux cheveux rouges
en ignorant la couleur
en ignorant ses ardeurs

*

Requiems


1. Je t’aime… moi non plus

une robe de fête
la cuite avec Narcisse
aux flancs du mont vérité
les parties de noyade
avec la belle de l’année
les régressions
du renoncement
à l’innocence
l’espoir qui cuisait
peu à peu
comme carbonisé
par un amour trop fort

l’oubli maladif
le parc et le banc
comme Everest
à ce monde impur

les je t’aime imbéciles
jetés à la face
du penseur solitaire

…moi non plus…

2. Exit music

les parties de trance
sur les guitares mourantes
les nuits blanches
avec les morceaux nocturnes
l’Espoir, encore,
comme un lambeau

parfois je ressemble
aux crachats de charbons
d’une vie-désespoir
à ces grises atteintes
au bout du fleuve
où gisent
ces idoles de ciment

3. Roads

tous les déserts fleuris d’encens
mènent à ma triste vie
où se confondent
déserts urbains
et crachoirs déjantés

j’ai fait patience de la joie
dans des paysages de charbon
et de noires cordes de guitares
retentissent sous mes pleurs

j’ai fouillé les parpaings
la rouille de ces murs
pour y trouver
forêts et gluants océans
on m’a greffé mille
existences

*

Attente


1.
elle est partie,
me laissant seul avec mes tours
sombres et désertes

je l’ai imaginée flottant
au milieu de mes cheveux
des carapaces nocturnes

elles s’est peut-être envolée
un matin moisi
sur des émanations d’irréalités
ou encore
s’est-elle échappée
sur l’orbite de mes désirs

je pourrais si facilement
tomber de sa clarté vacillante
d’un soleil qui se meurt

elle me laisse seul
avec les visages sous la pluie
les statues mornes
sur leurs socles implorants
les fumées de pensées
qui s’échappent de la brume
les spectres de son regard

elle me laisse seul
avec les escapades imaginaires
sous les toits perdus
j’attends un signe
du pavillon de tes yeux
qui me laisserait dans l’espérance
que rien n’est vain,
que les futiles édifices
ne sont pas posés pour rien

2.
je suis un enfant en attente
du rythme des images,
des sanglots de ta voix
laisse-moi lécher tes larmes
comme un chat
comme un chat
et murmurer l’infini
au creux de tes fenêtres
tu ignores ma vie
et ses ascendances

je suis un enfant en attente
de tes sons
de tes couleurs ficitives
et de ta voix éraflée
par les pleurs

3.
je voudrais te subtiliser
l’essence de ton existence
et te la rendre,
magicien morbide, en roses fanées

la nuit a peur
de ma nuit livide

d’ultimes vipères régnant
sur les jours
se frôlent aux gouttières
de ma moralité écartelée

on a greffé
des rêves suants
sur ma peau farouche

*

Décor


on annonce
l’éclat d’un espoir
dans ces rues vides,
striées de passants
comme des veines sur les joues
d’une fillette malade

l’aube aura décortiqué l’horizon

on annonce l’éclat d’un espoir
sur ces hautes demeures
qui tentent de jongler
avec les pluies
ces yeux, possédés
par des sirènes d’égout
ce monde qui agonise
ces enfants de mille ans
parsemés de rides
ces fleurs maladives et mourantes

*

Deuil d’un fantôme


elles sont déjà finies
ces errances incertaines
sur les toits desséchés

et ces yeux de chiens battus
embués et si frêles
font-ils déjà la queue
au royaume des souvenirs ?

et ces lèvres
comme une cigarette incertaine
se consument-elles toujours
au toucher du bonheur ?

elle rejoindra mes rêves
un jour, sur ces bottines irréelles
lorsque la solitude me reviendra
au contact de l’hiver éternel

Nicolas Stanziano - Adriaenssens - Rodolphe Gauthier
Nicolas Stanziano pour N. Adriaenssens (1997)