Rachilde : “Les cas particuliers”

Préface de Monsieur Vénus publié par Les éditions Solstices

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Rachilde

Rachilde a fait une mauvaise fin. Plus, contrairement à ce qu’on insinue, à cause de son sexe, que pour ses opinions réactionnaires d’après-guerre. Car si elle était en effet anti-féministe, homophobe, nationaliste, belliciste, critiqua Proust, Gide, Dada et le Surréalisme, Céline – pour prendre un exemple célèbre – n’était-il pas bien pire encore ? Ne nous leurrons pas : c’est parce que Rachilde est une femme qu’elle est morte dans l’oubli en 1953, à 83 ans.

Quand paraît Monsieur Vénus, en 1884 (la même année qu’À Rebours de Huysmans, que Les Poètes maudits et Jadis et Naguère de Verlaine…), elle n’a que 24 ans. Une jeune fille, vêtue à la garçonne (elle obtient une autorisation préfectorale pour « se travestir »), libre dans son corps, dans son image, dans sa sexualité. Déjà beaucoup de raisons de publier Monsieur Vénus Rachilde, en espérant en publier beaucoup d’autres.

Et puis, comme le souligne Barrès, et comme cela est évident, parce que ce livre est extraordinaire (au sens propre du terme) : il traite du hors-norme. La révolte rachildienne préfère parler de hors-nature, titre d’une « étude de mœurs » publiée en 1887 (terribles années 80 !) : la nature créée par Dieu autant que par la vision de la Science et de la Société.

Aujourd’hui, la publicité des pratiques déviantes les a normalisées. On a perdu l’excitation ou la surprise de lire le comte de Charlus fouetté par un ancien domestique, Jupien, comme on sourit à peine de savoir que Héliogabale se faisait enculer par ses cochers, peut-être parce que son père était, semble-t-il, cocher. La diffusion de Sade, les bavardages autour des 120 journées, l’adaptation de Pasolini, une lecture savante, nous a définitivement insensibilisés. Puisqu’au texte s’ajoute l’image. Et certes, dans ce domaine, l’imagination est parfois surpassée par l’infinie réalité des pratiques.

Puisqu’il a autant de pratiques qu’il y a d’individus ; il y a autant de désirs qu’il y a de corps. Des monades, des myriades de sensibilités qui, alors même qu’elles le cherchent à peu près toutes, se rencontrent nécessairement au quotidien.

En fait, certainement on peut dire qu’il y a autant de sexes qu’il y a d’humains. La dichotomie homme/femme, valable d’un point de vue biologique (tant que la science n’a pas fait enfanter un homme – ce que la césarienne permettrait déjà de rendre possible), n’est pas valable, ou disons opératoire dans un monde social, c’est-à-dire dans un monde qui ne fonctionne pas qu’en abstractions, c’est-à-dire encore : dans notre monde à tous, tout le temps.

C’est cette variété que ne rend pas la mise en avant de quelques pratiques codées – surcodées – de manière grossière. La plupart de ceux qui s’y adonnent ne répondent au final qu’à des stimulis similaires à une publicité pour un fast-food ou pour une lessive.

C’est ce qui fait du livre de Rachilde un trésor. Même les symboles un peu lourd (« Raoule » pour le personnage féminin-masculin) effacent les velléités réalistes (dites alors « décadentes ») de ce récit pour en faire une pure expression des désirs, parfois – dans certaines fulgurances – des pulsions.

Cultiver les goûts propres en dehors de toutes les pressions extérieures.