Michele Sovente : notes sur le plurilinguisme et quelques adaptations en français

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Per vacuum

(Acrostico di Emilio Tadini)

Erumpit febris vivendi vel
Malum urbis hoc est Mediolani
Instanter clamantis in deserto una cum
Larvis quae sese sauciant sine
Indulgentia dum per fractas
Orbitas fendunt machinae vacuum.

Tot putrescentes lunae tot tumescentes
Animae vel figurae miliens
Dividunt dies de noctibus et coniungunt
Infimas voces cum simulacris
Nequitiae dum fractae vitae sine
Indulgentia per vacuum labuntur.

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Per il vuoto

Erompe la febbre del vivere che è
Male, urbano cioè di Milano
Inesorabilmente urlante nel deserto con
Larve che si aggrovigliano ulcerandosi senza
Indulgenza mentre per sfasate
Orbite tranciano il vuoto le macchine.

Tante putrefatte lune tante tumefatte
Anime o figure mille volte
Dividono i giorni dalle notti e uniscono
Infime voci con i simulacri della
Nequizia mentre sfasate vite senza
Indulgenza sciovalano nel vuoto.

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P’ ‘u vvacanto

Èsce fòra ‘a frèva ‘i campò
Malo ‘i cittò malo ‘i Milano fravecata
‘Int’ a nu deserto ‘i pullecenèlla fàvuze
Luntano r’ ‘i ccòse bbòne senza
Indurgenza tramènte ca pe’ ombre vecchie e
Ombre nòve stracciano ‘u vvacanto ‘i mmàchine.

Tanta lune ammarciute tant’aneme
Ammaccate ‘nziéme cu fiure mille vòte nun
Danno cuórpo û tiémpo e fanno ‘ncuntrò
‘I vvóce cchiù ‘ntussecóse cu ‘i cchiù
Nire vulìe tramènte ca vite sfrantummate senza
Indurgenza p’ ‘u vvacanto rruciuléano.

*

Adaptation en français

À travers le vide

(Acrostiche pour Emilio Tadini)

Eclate la fièvre de vivre le
Mal de la ville ou plutôt de Milan
Inexorablement hurlant dans le désert avec des
Larves qui s’agglomèrent en s’ulcérant sans
Indulgence tandis que selon des déphasages d’
Orbites les voitures tranchent le vide.

Tant de lunes putréfiées tant d’âmes
Abimées ou des milliers de figures
Divisent les jours des nuits et unissent d’
Infimes voix avec les simulacres les plus
Noirs pendant que les vies déphasées sans
Indulgence roulent dans le vide.

*

Quelles sont ces voix de Michele Sovente ?

Cette polyphonie échappe encore au lecteur français.

Sans s’appesantir sur l’incuriosité, d’autres motifs : s’il faut avancer une hypothèse parmi d’autres, on invoquera le Classicisme (Malherbes, Boileau !) qui a déprécié un langage de la diversité (celui de la Pléiade) : la volonté d’une unité nationale réclamait une esthétique aplanie (la pensée de l’unité restreint le langage).

Nous en sommes encore là sans doute.

Et nous lisons avidement Franciscae meae laudes de Baudelaire, les décapants Jadis et Naguère (1884), Parallèlement (1889), Élégies (1892) ou encore Mes Hôpitaux (1891), d’un Verlaine qu’on méconnait ; les poètes néo-latins, de toute époque, comme une terra incognita ; l’auteur expatrié des Cantos (chants de Babel !), Ezra Pound ; et Amelia Rosselli, et en Italie toujours, Michele Sovente… Et nous savons qu’il y en a d’autres…

Car la situation italienne a bénéficié de certaines contingences : la volonté d’indépendance des villes, par exemple, qui ne s’estompa que tard – dans les volontés politiques – et essentiellement avec les révolutions industrielles qui instauraient de nouvelles vitesses, favorisa des littératures dont les mots intriguent et éblouissent. Richesse des vocabulaires, richesse des visions. Toutes les modernités, toutes les influences virent gonfler le flux des voix – jusqu’à l’italien national (il suffit de comparer nos dictionnaires).

Pasolini écrivit en frioulan. Amelia Rosselli écrivit en anglais, en français ainsi qu’en italien, traversée de formes dialectales et de néologismes. Michele Sovente, né en 1948 près de Naples, mort en 2011, publia Bradisismo en 2008 dont plusieurs sections comprennent des poèmes en trois langues : italien, latin, et un dialecte de Cappella, proche du napolitain.

Pour Sovente, ce sont des voix de terre : le latin sur le sol romain, le latin enterré, le latin lointain aussi ; l’italien par strates, ou plaques, encore, qui circulent par les migrations internationales mais aussi nationales (des familles, des populations se déplacèrent dans l’Italie de Mussolini) ; le dialecte, enfin ou d’abord, ancêtres, famille, fantasme, oui, mais dialecte aussi comme déviance, non-alignement, tangente. Des voix de laves (le Vésuve), des voix larvées qui resurgissent ici et là, parmi les scories. Le tombeau vendu de Virgile. Ces résurgences spatiales en parallèle aux époques : classicisme, baroque, modernisme, du sonnet au vers libre ; des voix pas même humaines, mais des vibrations, des ondes hertziennes, appréciables par magnitude, ou simplement avec un bâton de sourcier : tendre l’oreille, le bras, tendre tout entier.

Un bradyséisme, un lent mouvement de tectonique des plaques, des couches telluriques, qui enfle et dégonfle, qui respire aussi jusque dans nos corps, que produit la lecture (et la traduction) des poèmes. Les trois langues se croisent, s’enchevêtrent, et varient. Les différentes versions, les différentes variations composent des formes auxquelles on se connecte, qu’on connaisse ou non les langues, qu’on s’y familiarise, qu’on les compare par caprice. Traduire chaque version est une gageure un peu ridicule, un solipsisme : on a préféré une adaptation.