Eléments sur la vie d’Aimé Césaire
Né le 26 juin 1913 à Basse-Pointe, en Martinique.
Poète, dramaturge, homme politique français.
Boursier, il vient terminer ses études à Paris.
Rencontre Léopold Sédar Senghori et Léon-Gontran Damasii avec qui il définit la notion de « Négritude » (valorisation de tous les aspects des cultures noires, puis, plus largement, non-européennes : africaines, créoles, océaniennes, etc.).
En 1935, adhère aux Jeunesses communistes. S’intéresse au Surréalisme.
Entre à l’Ecole Normale Supérieure, obtient un doctorat et devient professeur de lettres en Martinique.
Fondateur en 1939 de la revue Tropiques.
Publie Cahier d’un retour au pays natal.
En 1945, il est élu maire de Fort-de-France, puis député (jusqu’en 2001).
Adhère au Parti Communiste Français.
Ses positions anticolonialistes s’accentuent avec les massacres perpétués en Algérie, au Vietnam (bombardements français), à Madagascar.
En 1950, il publie Discours sur le colonialisme, texte qui oue un rôle considérable dans la prise de conscience des acteurs politiques et culturels de la décolonisation.
En 1956, après la révélation des crimes de Staline dans le rapport Khrouchtchev, il démissionne du PCF et fonde le Parti Progressiste Martiniquais (PPM).
Il reste très engagé toute sa vie :
– 1975, il vote la loi dépénalisant l’avortement dite « loi Veil » ;
– 2005, il refuse de recevoir le président Nicolas Sarkozy.
Il meurt le 17 avril 2008 à Fort-de-France.
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Discours sur le colonialisme
publié en 1950 aux éditions Réclame
puis en 1955, dans une version revue et actualisée, aux éditions Présence africaine (qui existent toujours : http://www.presenceafricaine.com/).
C’est un « essai » (=ouvrage en prose qui développe librement une idée principale), et plus spécifiquement un pamphlet (=petit écrit en prose au ton polémique violent, le plus souvent d’une portée politique).
En ligne, au format pdf : http://www.socialgerie.net/IMG/pdf/cesairediscours_sur_le_colonialisme.pdf
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Résumé et idées principales
Les parties ne sont pas numérotés, ou même clairement définies, dans toutes les éditions.
1.
Débute sur le constat d’une civilisation décadente, parce que bourgeoise = vision communiste.
Noter le vocabulaire de la rhétorique marxiste (« prolétariat », « régime bourgeois »…).
« L’Europe est indéfendable » : elle n’a pas d’excuse pour ne pas prendre en compte la question du colonialisme, pour ne pas accepter d’y voir un processus oppressif.
Or l’Europe sait qu’elle ne devrait pas agir comme elle le fait dans les pays colonisés : elle se ment.
Le premier mensonge est le suivant : la colonisation est civilisatrice. Non, la colonisation n’est pas synonyme de civilisation (« colonisation et civilisation »).
La colonisation ne sert pas, contrairement à ce que prétendent les colonialistes, à apporter le progrès de la civilisation, mais bien à enrichir les pays colonisateurs : « étendre à l’échelle mondiale la concurrence de ses économies antagonistes » (afin de poursuivre son expansion économique).
Césaire précise le rôle négatif de la religion chrétienne, résumé par l’identification : « christianisme = civilisation ; paganisme = sauvagerie », « d’où ne pouvaient que s’ensuivre d’abominables conséquences colonialistes et racistes ».
Mais ne nie pas l’intérêt des rencontres des cultures : « l’échange est ici l’oxygène » (mais la colonisation n’a pas « mis en contact » les cultures, elle les a écrasées).
2.
« La colonisation travaille à déciviliser le colonisateur ».
Le nazisme est, en Europe, l’équivalent de ce que les Européens ont fait subir aux pays colonisés : « Et alors, un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour… » : « il faudrait révéler au chrétien bourgeois qu’il porte en lui un Hitler » : ce bourgeois, « ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, c’est le crime contre l’homme blanc (…), d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes » qui ont déjà cours en Algérie, en Inde, en Afrique.
Pour prouver cette allégation, Césaire se lance dans une minutieuse enquête historique : il cite les propos racistes des intellectuels français du XIXe siècle, en commençant par Ernest Renan, La Réforme intellectuelle et morale (1850).
= Césaire s’attaque à la « philosophie idéaliste », typique de l’Europe, à laquelle s’oppose le matérialisme dialectique (philosophie du courant communiste de l’époque).
Puis il cite des « R.P. », des « Révérends Pères », c’est-à-dire des prêtres de l’Église catholique.
Nouvelle idée : « une nation qui colonise, (…) qui justifie la colonisation – donc la force –, est déjà une civilisation malade ».
Il passe en revue les propos racistes des responsables de l’armée française de l’époque de la colonisation (XIXe-XXe siècles) : colonel de Montagnac, Saint-Arnaud (« On ravage, on brûle, on pille, on détruit les maisons et les arbres. »
Puis il cite de grands écrivains français : Pierre Loti (auteur de nombreux romans).
Aimé Césaire, lui, parle de « hideuses boucheries », ce qui amène une nouvelle idée maîtresse : « la colonisation, je le répète, déshumanise l’homme même le plus civilisé » : le colonisateur est déshumanisé au moins autant que le colonisé : les actes de barbaries avilissent ceux qui les commettent.
Puis il parle des colonisés : « Mais parlons des colonisés. »
Reprend les arguments des colonisateurs et les contredit. « Sécurité ? Culture ? Juridisme ? »
Les travaux pour améliorer les conditions matérielles (routes, train…) n’ont pas apporté le bonheur : ils ont non seulement coûté la vie à des milliers de personnes, mais ils ont détruit les ressources propres du pays.
« On me parle de civilisation, je parle de prolétarisation et de mystification. »
Il ne faut pas imposer une vision extérieure, mais laisser d’autres possibilités de « civilisation » et de « culture » que celles que nous connaissons.
C’est « l’impérialisme » qui a détruit ces civilisations.
Nouvelle idée : la colonisation a retardé le progrès de l’Afrique. Une des preuves : le Japon a pu se développer sans l’aide européenne.
3.
Critique de la « barbarie américaine ».
Les massacres à Madagascar.
Fustige de nouveau l’hypocrisie bourgeoise. (« La règle, au contraire, est de la muflerie bourgeoise. »)
Cite Joseph de Maistre (1753-1821), écrivain royaliste anti-révolutionnaire. Georges Vacher de Lapouge (1854-1936), anthropologue eugéniste. Émile Faguet (1847-1916), homme de lettres.
S’attarde sur Jules Romains (1885-1972) : écrivain, membre de l’Académie française, contemporain d’Aimé Césaire. Jules Romains est un écrivain reconnu qui a tenu des propos racistes pour lesquels il n’a jamais été vraiment critiqué (à part par Césaire).
4.
Résume tous ceux qui sont racistes : « te seront ennemis… » + énumération.
Puis liste commentée : historiens, prêtres, psychologues, etc.
S’arrête sur Pierre Gourou (1900-1999) : spécialiste de l’Indochine, contemporain de Césaire.
Puis à un prêtre, le R.P. Tempels (noter l’ironie de la répétition systématique du titre).
Évoque le colonialisme belge (particulièrement violent au Congoiii).
Puis à Octave Mannoni (1899-1989), psychanalyste. Dénonce son hypocrisie intellectuelle : il se réclame de l’existentialisme, alors que cette philosophie (à la mode quand Césaire parle, grâce à Jean-Paul Sartre) dénonce le racisme, les oppressions, le colonialisme (Sartre avait écrit la préface de l’Anthologie de la poésie nègre et malgache de Senghor, en 1948, sous le titre Orphée noir, disponible en ligne ici).
Analyse des propos d’Yves Florenne dans le quotidien Le Monde.
Cite, pour illustrer la précédence du « Mal » commis par les Européens, des sommités de la littérature : Charles Baudelaire (« C’est du Baudelaire, et Hitler n’était pas né ! »), puis cite Isidore Ducasse, alias le comte de Lautréamont (1846-1870). Lautréamont est, avec Rimbaud, une des références principales des Surréalistes (que Césaire admire) : selon Césaire, Lautréamont (auteur des Chants de Maldoror, ouvrage inclassable où un personnage, Maldoror, multiplie les cruautés et les horreurs en tous genres) n’invente rien : il ne fait que regarder les atrocités qui se commettent autour de lui.
S’attaque à Roger Caillois (1913-1978). « Sa doctrine ? (…) Que l’Occident a inventé la science. Que seul l’Occident sait penser. » « Il n’est d’ethnographie que blanche. » (Césaire fait le parallèle avec Gobineau, l’auteur d’un Essai sur l’inégalité des races paru en 1853).
Nouvelle idée : l’Occident n’est pas le garant de l’humanisme, au contraire, il le dévoie. « jamais l’Occident, dans le temps même où il se gargarise le plus du mot, n’a été plus éloigné de pouvoir assumer les exigences d’un humanisme vrai, de pouvoir vivre l’humanisme vrai – l’humanisme à la mesure du monde. » (cette dernière formule rappelle la phrase prêté à Protagoras par Platon dans Théétète : « L’Homme est la mesure de toute chose », formule qui sert de résumé à la pensée humaniste de la Renaissance).
5.
Après avoir évoqué l’humanisme dévoyé par les bourgeois, Césaire aborde la notion de « nation ».
« La nation est un phénomène bourgeois ».
Compare le colonialisme à l’impérialisme romain = longue dissertation : l’impérialisme romain a sonné le glas de la civilisation romaine, comme le colonialisme sonne le glas de la civilisation occidentale.
Dénonce l’illusion de croire que l’Amérique (en fait, les États-Unis) offre une possibilité d’échapper à la décadence européenne. Le racisme et le capitalisme américains favorisent la domination (« le danger est immense »).
Idée finale : on n’échappe à l’oppression que par la révolution ! « le salut de l’Europe (…) c’est l’affaire de la Révolution : celle qui, à l’étroite tyrannie d’une bourgeoisie déshumanisée, substituera, en attendant la société sans classes, la prépondérance de la seule classe qui ait encore mission universelle (…) : le prolétariat. »
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Notes pour l’oral
« Césaire a-t-il raison ? » = pensez à l’état de l’Afrique aujourd’hui : les pays sont-ils devenus riches et opulents ?
La virulence est souvent ad hominem (=s’attaque à des personnes qu’il nomme). Pas de langue de bois, et courage de s’attaquer à des sommités reconnues par tous.
Appel final à une révolution prolétarienne.
L’écriture d’Aimé Césaire est poétique : utilise le sentiment autant que la raison, les procédés stylistiques autant que la froide réflexion. = rhétorique virtuose.
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Pour aller plus loin (ouvertures)
Colonisation de l’Algérie (en 1830 ; chute d’Abd el-Kader) et indépendance de l’Algérie (1962).
La décolonisation des pays africains (1945-fin des années 80).
Contexte du racisme (cf USA).
La « françafrique ». La décolonisation n’est pas encore finie : si les pays africains ont des états indépendants, ils restent (r)attachés aux pays colonisateurs par l’implantation des grandes entreprises (Total, Bouygues…), l’exploitation de leurs richesses (les matières premières), des systèmes financiers complexes et opaques (le franc RFA, malgré les réformes).
Le découpage des pays africains réalisé volontairement « au couteau » empêche les peuples de se constituer en « nations »-états (ou en « peuples-états »).
S’ensuivent des guerres, l’implantation de groupes terroristes qui profitent du désespoir, de la pauvreté, de la frustration pour proliférer.
Les campagnes de décolonisation dans les pays colonisateurs : débaptisation des noms de rue, déboulonnage de statues, etc. (France, Belgique, Canada, États-Unis aussi avec les Sécessionnistes).
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iSi Léopold Sédar Senghor (1906-2001), premier Africain à avoir été élu Académicien, est reconnu comme un promoteur de l’anticolonialisme, son action en tant que président du Sénégal (1960-1980) soulève de nombreuses questions politiques et éthiques. Certains l’accusent d’avoir favorisé le jeu des Européens en Afrique plutôt que d’avoir combattu
iiLéon-Gontran Dams, né à Cayenne en 1912 et mort à Washington en 1978, est un poète, écrivain et homme politique français. Figure incontournable de la Négritude.
iiiNoter, au passage, la polémique récente autour de Tintin au Congo.