Michel de Montaigne, Journal de voyage

(septembre 1580 – novembre 1581)

L’identité du secrétaire reste mystérieuse, autant que la raison de son départ de Rome au Carême. Qui était « celui de [s]es gens » qui avait si bien, et même mieux que lui-même, accompagné l’auteur des Essais ? Il s’agit de l’un des grands mystères de la littérature. Qui passe cependant assez inaperçu. Et pourtant, quel personnage fascinant. Non seulement par la qualité de son écriture et de son observation, mais surtout pour son attention méticuleuse aux détails. Une attention presque maniaque. Quoique la manie serait plutôt dans les verbigérations sans fin qu’on nous sert depuis deux siècles. Peu de livres, peu d’auteurs où l’on peut lire, avec autant d’intérêt, les précis pratiques (viennent en tête Genevoix, Beauvoir, un peu de Tournier, peut-être du Cormac McCarthy…).

On a beaucoup glosé sur les préférences sexuelles de Montaigne. Débat oiseux. S’il était attaché à « l’amitié maritale », s’il était bon père, son attachement à Marc-Antoine Muret, outre qu’à La Boétie, et son éloge de la « bele secte » des hommes mariés entre eux de San Giovanni Porta Latina ne laissent guère de doute sur son intelligence à ce sujet-là, autant que sur tant d’autres.

Ci-dessous des notes de lecture brutes, sans commentaires ou presque, sur le séjour à Rome.

Le texte est disponible en pdf à l’adresse suivante :

https://montaignestudies.uchicago.edu/h/lib/JV1.PDF

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Rome

Notes de lecture à partir de l’édition folio de Fausta Garavini

avec des citations dans le texte original prise sur Wikipedia

https://fr.wikisource.org/wiki/Journal_du_voyage_de_Montaigne/Partie_3

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(p.187 note 436) : dans les Essais, III 9 et 13, M parle de sa paresse

Au départ de Ronciglione, se lève « trois heures avant le jour, tant il avait envie de voir le pavé de Rome. »

(p.188) Arrivent le 30 novembre 1580 (Saint-André) à 20h, par la porte del Popolo

attente et difficultés pour rentrer à cause de la peste de Gênes (1579-80), 28000 victimes.

30 nov-1er déc : Dorment à l’Ours. Auberge de l’Orso, fréquentée par les étrangers. Son nom vient d’un bas-relief figurant l’animal.

2 décembre : chambres chez un Espagnol, devant Santa Lucia della Tinta, via Monte Brianzo, en amont du pont Saint-Ange (quartier des teinturiers). 3 chambres. 20 écus/mois (avec commodités).

(p.189) M se plaint du nombre de Français à Rome

(p.189-190) sur la Rome ensevelie (notamment arc de Sévère)

laisser sa bourse aux banquiers car voleurs

fouillé à l’entrée de la ville, on lui prend des livres

25 décembre messe du pape à Saint-Pierre

p.192 : « comme à Paris, la beauté plus singulière se trouvait entre les mains de celles qui la mettent en vente »

29 décembre : rencontre avec le pape : détail de l’étiquette

p.194 description du pape Grégoire XIII

31 décembre : chez le cardinal de Sens : détail des usages très stricts à table.

Salle du consistoire avec le pape et les cardinaux à vêpres.

3 janvier 1581 : le pape sous la fenêtre, avec sa pompe.

11 janvier : va in Banchi. Assiste à l’exécution du bandit Catena, et aux supplices infligés à son cadavre.

Peu de cloches et peu d’images (peinture) dans les églises.

Le secrétaire assiste au supplice de deux frères, « anciens serviteurs du secrétaire du Castellan, qui l’avaient tué quelques jours auparavant de nuit en la ville, dedans le palais même dudit seigneur Jacopo Buoncompagno, fils du pape. »

Réflexion sur la taille de Rome et comparaison avec Paris.

Jeudi 26 janvier : mont Janiculum, puis les statues du Belvedere, la galerie des peintures du pape.

p.200 Perd sa bourse.

Étudie Rome, d’abord avec un guide, puis seul.

Réflexion sur les ruines ensevelies. « Il disait qu’on ne voyait rien de Rome que le ciel sous lequel elle avait été assise et le plan de son gîte. »

p.201 : Le Testaccio.

Tout le passage est une belle description de la part du secrétaire.

30 janvier : description minutieuse d’une circoncision à la synagogue.

Février (entre le 12 et le 16?) : description du carême, de la couse del palio sur le Corso (à l’occasion de laquelle, les voyageurs louent une estrade 3 écus).

p.206-7 : Description des femmes. Puis de l’habit des hommes.

Jeudi gras : description minutieuse des plats

p. 208 : Ici, le journal est pris en charge par Montaigne : « Ayant donné congé à celui de mes gens qui conduisait cette belle besogne, et la voyant si avancée, quelque incommodité que ce me soit, il faut que je la continue moi-même. »

16 février : cérémonie de désenvoûtement

1 mars : station à Saint-Sixte

réflexion sur la grande dévotion des Romains (et Romaines) : presque du Stendhal : « Un quidam étant avec une courtisane, et couché sur un lit et parmi la liberté de cette pratique-là, voilà sur les vingt-quatre heures l’Ave Maria sonner : elle se jeta tout soudain du lit à terre, et se mit à genoux pour y faire sa prière. » Puis un autre exemple.

Sur l’ambassadeur du « Moscovite » (Yvan IV le Terrible).

6 mars : sur la bibliothèque du Vatican : description précise des livres (p.212-4).

13 mars : patriarche d’Antioche, « arabe, très bien versé en cinq ou six langues de celles de delà, et n’ayant nulle connaissance de la grecque et autres nôtres, avec qui j’avais beaucoup de familiarité » : Ignace Naamatallah ou Neheme, venu à Rome en 1578 pour négocier le rattachement à l’Église syrienne jacobite à l’Église catholique. S’occupait de médecine et d’astronomie.

« Un jour » : avec Marc-Antoine Muret et d’autres, sur la traduction de Plutarque par Amyot, et ses quelques erreurs.

p.215-6 : évocation des fresques de la Sala Regia de Vasari (sans le citer) sur la bataille de Lépante et la Saint-Barthélémy (mort de Coligny, appelé « amiral de Châtillon »).

15 mars : périple à Ostia avec Monluc (p.216-219)

16 mars : « il me prit envie d’aller essayer les étuves de Rome »

17 mars : sur les poissons (qu’apprécie beaucoup Montaigne) : comparaisons et détails.

18 mars : l’obédience de l’ambassadeur du Portugal au pape.

p.220 sur la secte des homosexuels de San Giovanni Porta Latina.

Article ici : https://www.ilmessaggero.it/rubriche/accadde_oggi/roma_chiesa_circolo_omosessuale-2571112.html

« Je rancontrai au retour de Saint Pierre un home qui m’avisa plesammant de deus choses : que les Portuguais faisoint leur obédiance la semmene de la Passion, & puis que ce mesme jour la station estoit a Saint Jean Porta Latina, en laquelle Eglise certains Portuguais, quelques années y a, étoint antrés en une étrange confrerie. Ils s’espousoint masle à masle à la messe, aveq mesmes serimonies que nous faisons nos mariages, faisoint leur pasques ensamble, lisoint ce mesme évangile des noces, & puis couchoint & habitoint ensamble. Les esperis romeins disoint que, parce qu’en l’autre conjonction de masle & femelle, cete sule circonstance la rand legitime, que ce soit en mariage, il avoit samblé à ces fines jans que cet’autre action deviendroit pareillemant juste qui l’auroit authorisée de serimonies & misteres de l’Eglise. Il fut brûlé huit ou neuf Portuguais de cete bele secte. »

Ironie de « l’ambassadeur du Moscovite » sur la « pompe espagnole ».

Dimanche des rameaux : l’enfant de 15 ans, assassin d’un autre garçon (p.221) : « Le Dimanche des Rameaus, je trouvai à vespres en un’église, un enfant assis au costé de l’autel sur une chese, vestu d’une grande robe de tafetas bleu neufve, la teste nue, aveq une courone de branches d’olivier, tenant à la mein une torche de cire blanche alumée. C’étoit un garçon de 15 ans ou environ, qui, par ordonnance du Pape, avoit été ce jour là délivré des prisons, qui avoit tué un autre garçon. »

Le lendemain : « le pape fit les sept églises ».

p.221 « Ce jour au soir me furent rendus mes Essais, châtiés selon l’opinion des docteurs moines. » : détail des recommandations (non suivies, du reste, par Montaigne).

Le mercredi de la semaine sainte : visite avec M. de Foix des 7 églises.

Sur les sermons.

Notamment ceux faits aux Juifs (obligation d’y assister).

p.223-4 : Sur « le mot d’un prêcheur que nous faisions les astrolabes de nos coches » pour regarder les courtisanes aux fenêtres : réflexion sur l’art de se rendre belle.

Le jeudi saint : les excommunications sont lues : contre Huguenots et « tous les princes qui détiennent quelque chose des terres de l’Église ; auquel article les cardinaux de Médicis et Caraffe, qui étaient joignant le pape, se riaient fort. » (car en détiennent : rivalité courante entre les grandes familles et le pape.)

Sur la torche envoyée au peuple qui se bat pour l’avoir.

Puis bénédictions publiques.

p.225 : la Sainte-Face (vera iconica) « Ces jours se montre la Veronique qui est un visage ouvrageus, & de colur sombre & obscure, dans un carré come un grand miroir. »

une femme possédée (« spiritata »)

p.226 « le fer de lance dans une bouteille de cristal »

puis sur la procession « la plus noble chose et magnifique que j’aie vue, ni ici ni ailleurs », et les pénitenciers, souvent loués (cf Essais, I, 14) : critique.

p.228 : Évocation rapide du Panthéon

puis sur San Giovanni in Laterano, « les chefs saint Paul et saint Pierre » (qui avaient redécouvertes au XIVe siècle dans la chapelle Sancta Sanctorum).

Le mercredi après Pâques : parle avec M. Maldonat (jésuite) : « le menu peuple était, sans comparaison, plus dévot en France qu’ici ; mais les riches, et notamment courtisans, un peu moins. »

p.229 Paul Vialard

p.229-30 sur les jardins

sur les courtisanes qui vendent leur conversation…

dimanche de Quasimodo (1er après Pâques, ici en avril) : « cérémonie de l’aumône des pucelles » (qui sont 107) par le pape à Santa Maria sopra Minerva.

p.231 « Je disois des commodités de Rome, entr’autres, que c’est la plus commune ville du monde, & où l’etrangeté & differance de nation se considere le moins ; car de sa nature c’est une ville rappiecée d’étrangiers ; chacun y est come chés soi. » (cf Essais, III, 9)

p.232 sur la volonté d’obtenir le « titre de citoyen romain », obtenu difficilement le 5 avril 1581 daté du 13 mars

3 avril passe par la porte San Lorenzo Tirbutina pour Tivoli (p.233-6)

p.235 évoque les statues célèbres de Rome

p.236 évocation rapide la Villa Adriana

15 avril « je fus prendre congé du maître del Sacro Palazzo et de son compagnon, qui me prièrent ne me servir point de la censure de mon livre » (Montaigne ne retranchera rien – au contraire – et son livre circulera librement jusqu’en 1676 quand il sera mis à l’index à cause de l’utilisation qu’en faisaient les libertins).

p.237 rencontre le Polonais Stanislas Reske

remarque sur le climat très doux

18 avril visite au palais « du signor Jean George Cesarini » pour admirer les « vraies têtes de Zénon, Posidonius, Euripide et Carnéade » et le portrait de Clelia-Fascia Farnèse

19 avril départ de Rome, après dîner, accompagné jusqu’au Pont Milvio (ici « Molle ») par des gentilshommes français.

Via Flaminia jusqu’à Castel Nuovo où ils dorment.