Camilo Cardenas : Le merveilleux et la matière

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Camilo Cardenas nourrit un monde fantastique peuplé de créatures – anges, gardiens, éléphants –, mais ce n’est pas un au-delà ou un paradis, ce n’est pas un monde inaccessible, bien au contraire : c’est notre monde quotidien.

Car Camilo Cardenas transforme directement le monde qui est autour de lui, et qui est autour de nous. Comme le braconnier de Michel de Certeau (1), c’est avec un savoir-faire plein d’ingéniosité et de subtilité qu’il récupère les matériaux et les transforme. « Perceive and protect » est-il écrit sur un de ses « angeles » : percevoir, c’est aussi comprendre. Rester curieux et, comme les animaux, rester aux aguets.

En guise d’animal, c’est l’éléphant qui semble avoir sa préférence. L’éléphant énorme sur son tout petit ballon, en équilibre, un peu burlesque, ou l’éléphant chétif, étonné de se retrouver là devant nous et qui nous interroge du regard. Loin de la vanité de démonstration, nous sommes aussi cet éléphant de bonne volonté tombé là par hasard, et qui se demande ce qui lui arrive. Un peu espiègle cet animal, comme Camilo lui-même, et malicieux, qui aime rire et qui aime jouer. Vie ludique, vie comique.

C’est sur ce mode de la connivence, de la sympathie, d’une affinité privilégiée que se crée le rapport aux choses et entre nous. Et cette affinité merveilleuse est toute matérielle. Car la matière participe de ce contact et de cette proximité : la chaleur du cuivre, la chaleur douce, rassurante du cuivre. Puis la rencontre du cuivre et du verre et du bronze et du fil, et d’autres choses encore. Les couples prennent formes d’une chaussure, les anges et les pieuvres de douilles, en général de tous les déchets devenus méconnaissables. Et pour ces déchets, ces ordures, pour ces objets délaissés et que la fainéantise humaine laisse pourrir, Camilo Cardenas a une certaine sympathie : l’amour de la matière émane de ces sculptures, avec une aura chaleureuse qui fait le charme et la réussite de son savoir-faire.

Né en 1986 aux États-Unis, mais ayant vécu jusqu’à 14 ans en Colombie, il a gardé de l’Amérique du Sud une énergie solaire et joyeuse. Une imagination débridée, un sens de la figuration qui ne contraint pas le regard, et qui permet une appropriation de ces objets, comme Camilo s’était approprié les objets qui leur ont servi de matrice. Une extravagance attentive aux autres, ce qui est rare quand l’extravagance a la mauvaise tendance de se signaler par un égoïsme rebutant. Abondance, habileté, générosité, il y a quelque chose de baroque dans ces réalisations qui plaisent d’autant plus qu’elles n’ont rien de forcé, de facile ou de voulu : la séduction et le charme sont francs. L’expression de ces bonshommes ne laisse pas de doutes.

C’est l’amour du minuscule, l’amour du détail – une inflexion du poignet, un jeu de béances –, l’amour de ces mondes précis, petits, avec quelque chose du “kawai” nippon, qui sont autant de refuges, de coins où s’isoler, mais aussi les repères d’un réseau plus large qui transforme notre monde quotidien, et qui devient un terrain de rencontres : ce sont les grandes joies de la création quotidienne, les joies immenses du minuscule quotidien. Et notre intimité chaleureuse…

Note

1. L’invention du quotidien, 1, arts de faire, folio essais, p.XXXVI « le quotidien s’invente avec mille manières de braconner. »

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