Mina Loy : présentation et deux traductions

On raconte évidemment un peu tout sur Mina Loy et on la lit très peu. Ce qui est sûr, c’est qu’elle a subi, comme toutes les autres (Claude Cahun, Valentine de Saint-Point, Lucie Delarue-Mardrus, Natalie Barney, etc) le mépris tacite des universitaires qui fait que le grand public l’a oublié ou ne la connaît que comme phénomène de foire littéraire. Mais c’est aussi hors de la sphère dite féministe qu’il faut l’appréhender, ou en dehors des études sur le gender qui, il est vrai, ne la nomment qu’avec circonspection puisque si elle était très proche de Djuna Barnes et d’autres, elle ne sembla pas avoir eu de goût particulier pour les femmes.

Ce n’est pas non plus, évidemment, parce qu’elle a été la femme d’Arthur Cravan, ou l’amante de Marinetti, qu’on la dit admirée par T.S. Eliot, Ezra Pound, William Carlos Williams ou encore Francis Picabia qu’il faut la lire. Mais bien parce qu’elle a écrit des poèmes comme celui-ci :

Lunar Baedeker

A silver Lucifer
serves
cocaine in cornucopia
To some somnambulists
of adolescent thighs
draped
in satirical draperies
Peris in livery
prepare
Lethe
for posthumous parvenues
Delirious Avenues
lit
with the chandelier souls
of infusoria
from Pharoah’s tombstones
lead
to mercurial doomsdays
Odious oasis
in furrowed phosphorous—
the eye-white sky-light
white-light district
of lunar lusts
— Stellectric signs
“Wing shows on Starway”
“Zodiac carrousel”
Cyclones
of ecstatic dust
and ashes whirl
crusaders
from hallucinatory citadels
of shattered glass
into evacuate craters

A flock of dreams

browse on Necropolis


From the shores
of oval oceans
in the oxidized Orient

Onyx-eyed Odalisques

and ornithologists

observe

the flight

of Eros obsolete


And “Immortality”
mildews…
in the museums of the moon
“Nocturnal cyclops”
“Crystal concubine”

Pocked with personification
the fossil virgin of the skies
waxes and wanes—

Le Baedeker Lunaire

Un Lucifer d’argent
sert
la cocaïne dans une corne d’abondance

À des somnambules
aux cuisses d’adolescents
drapés
de draperies satiriques

Peris en livrée
prépare
Léthé
à des parvenues posthumes

Avenues délirantes
allumées
avec le chandelier des âmes
des infusoires
des tombes des Pharaons

mènent
à la fin du monde mercurielle
Oasis odieuses
en phosphores ridés

le ciel-lumière d’œil-blanc
district blanc-lumière
de luxures lunaires

— Signes stellélectriques
”l’Aile indique l’Escalier”
”le Carrousel zodiaque”

Les cyclones
de poussière extatique
et de cendres tourbillonnent
les croisés
des citadelles hallucinatoires
de verre brisé
dans des cratères évacuateurs

Une volée de rêves
survole Nécropolis

Venant des rives
d’océans ovales
dans l’Orient oxydé

L’œil-onyx des odalisques
et des ornithologues
observe le vol
d’Éros obsolète

Et « Immortalité »
a le mildiou…
dans les musées de la lune

”Cyclopes nocturnes”
”Concubine de cristal”


Variolé de personnification
le fossile vierge des ciels
croît et décroît —

Mina Loy est née à Londres en 1882 et morte à 83 ans en 1966 dans la petite ville d’Aspen dans le Colorado.

Comme on a pu le constater, sa poésie est moderne et libre. Elle n’est pas juste « dadaïste » ou « futuriste », elle démontre surtout qu’à une certaine époque au moins elle appréhendait le langage et les mots, non selon les sens que la langue et l’époque (la société et son mécanisme) leurs octroyaient, mais selon leurs infinies possibilités d’expression, l’expression en dehors de la logique commune, du sens et du sens commun, ou encore d’un quelconque message. C’est de la base et du sommet qu’elle se positionne, non du milieu qui réclame de belles phrases cadencées et quelques trouvailles intellectuelles. Les trouvailles intellectuelles et les balancements rhétoriques sont la meilleure preuve de fainéantise mentale, celle qui se prélasse dans les carcans hérités. Le jeu et ce qu’on nommera les outrances ouvrent (Rimbaud l’a théorisé pour nous, mais tout le monde le sait depuis le début, et c’est la grande affaire de la race humaine) à de nouvelles manières de sentir et de penser, c’est-à-dire à un nouvel être-au-monde.

Face of the skies
preside
over our wonder.

Fluorescent
truant of heaven
draw us under.

Silver, circular corpse
your decease
infects us with unendurable ease,

touching nerve-terminals
to thermal icicles

Coercive as coma, frail as bloom
innuendoes of your inverse dawn
suffuse the self;
our every corpuscle become an elf.

Visage des ciels
préside
sur notre émerveillement.

Fluorescentes
absences des cieux
nous attirent dessous.

Cadavre argent, circulaire
ton décès
nous infecte d’une intolérable aisance,

touchant nos terminaisons nerveuses
en stalactites thermales

Coercitive comme le coma, fragile comme la floraison
allusions de ton aube inversée
se répand sur l’Un ;
toutes nos corpuscules deviennent des lutins.