Husserl | Idées directrices pour une phénoménologie (Ideen I)

Edumund Husserl | 1859 (Prossnitz) – 1938 (Fribourg)

Formation mathématique.

Veut élaborer la philosophie comme science pure par la méthode phénoménologique.

Décrit comment la pensée et ses objets se donnent essentiellement, en mettant de côté, par l’épochè et la réduction phénoménologique, ce qui est accidentel et empirique.

Met en évidence l’intentionnalité de la conscience

critique le psychologisme

analyse, à la fin de sa vie, la crise des sciences européennes, qui ont abandonné leur ancrage philosophique.

Influencé par les mathématiciens Karl Weierstrass et Leo Königsberger,

les philosophes Franz Brentano et Carl Stumpf.

1901 – Recherches logiques

1911 – La Philosophie comme science rigoureuse

1911 – Idées directrices pour une phénoménologie pure (Ideen)

1929 – Méditations cartésiennes

1935-7 – La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale (Krisis)

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Idées directrices pour une phénoménologie (Ideen I)

(1911)

Tournant majeur du XXe siècle = prolongé par Fink, Heidegger, Merleau-Ponty, Sartre, Levinas…

= met en place les fondements de la phénoménologie comme science des essences des phénomènes se manifestant à la conscience. (comme science rigoureuse)

La phénoménologie est donc une eidétique (= qui concerne l’essence générale des choses et non leur existence ; qui fait abstraction de l’existence des choses pour mettre en évidence leur essence.)

Cette eidétique a pour but une élucidation totale de la conscience.

= montrer le déploiement de la phénoménologie de la réduction transcendantale jusqu’aux problèmes de la constitution [de l’objectivité?] (cf Ideen II)

3 points fondamentaux :

1. méthode de la réduction phénoménologique = systématise l’entreprise cartésienne du doute, méthode supposant une double lecture de l’oeuvre husserlienne, à la fois découverte de résultat et validation de ce résultat par réflexion intuitive ;

2. possibilité d’une fondation de la vérité par intuition immanente d’états de conscience révélés par une simple description eidétique selon l’évidence, la philosophie justifiant alors sa position de science architectonique ;

3. ouverture pour la philosophie de tout un vaste champ de recherche portant sur l’ontologie (Heidegger, Sartre, Michel Henry), le temps (Heidegger, Husserl), la perception (Merleau-Ponty).

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Qu’est-ce que la phénoménologie ?

= science nouvelle, distincte de la psychologie, qui a pour but de décrire les phénomènes apparaissant à la conscience non selon leur caractère factuel, mais selon leur essence (eidos).

Science a priori, elle se constitue à partir de la réduction transcendantale (épochè) des phénomènes présents dans l’attitude naturelle : cette attitude naturelle est un réalisme naïf.

§1 – L’attitude naturelle présente les événements du monde comme des faits.

§2 – à chacun d’eux, se rattache une essence.

§3 – le fait est susceptible d’une intuition empirique,

l’essence est susceptible d’une intuition eidétique,

les deux intuitions sont reliées par une relation eidétique.

§4 – toutefois l’essence peut être connue indépendamment du fait.

§5-6 – il est possible eidétiquement de procéder à des distinctions conceptuelles pour déterminer a priori les caractéristiques des sciences.

§7-8 – Toute science qui étudie les faits est expérimentale et elle n’acquiert son objectivité que grâce à une eidétique qui seule peut la fonder en ce domaine.

§ 9 – Les distinctions conceptuelles opèrent au sein de différents domaines eidétiques (appelés régions), qui correspondent aux diverses sciences expérimentales.

§10 – Les régions s’envisagent soit du point de vue :

– de leur contenu (caractère matériel) ;

– de la forme.

§12 – Sous l’aspect de la forme, s’articulent des concepts généraux logiques : les catégories.

Sous lesquels se subsument diverses espèces eidétiques.

§14-16 – A chaque région correspond une ontologie qui peut, elle aussi, être envisagée soit d’un point de vue formel, soit d’un point de vue matériel.

§13 – Les essences qu’on considère sont soit abstraites (dépendantes d’autres essences auxquelles elles renvoient), soit concrètes (indépendantes d’autres essences).

Chaque essence, en son niveau, est objet d’une branche de la phénoménologie.

§17 – Les distinctions logiques délimitent différents domaines eidétiques qui déterminent chacun des régions ontologiques bien spécifiques.

(= la phénoménologie voit ainsi son champ prendre de l’ampleur.)

Positionnement de la phénoménologie

§19-21 – par rapport aux autres doctrines philosophiques.

§22 – son caractère novateur tient dans l’intuition des essences qui sont donc susceptibles d’être saisies directement.

= il faut parler alors d’idéation (acte donateur originaire) dont le principe est :

« Toute intuition donatrice originaire est une source de droit pour la connaissance ; tout ce qui s’offre à nous dans « l’intuition » de façon originaire (dans sa réalité corporelle pour ainsi dire) doit être simplement reçu pour ce qu’il se donne, mais sans non plus outrepasser les limites dans lesquelles il se donne alors » (p.43-4).

§25-26 – Par son caractère a priori et apodictique, la phénoménologie semble donc se rattacher aux autres sciences eidétiques telles les mathématiques

mais ces dernières sont dogmatiques, tandis que l’attitude phénoménologique est critique.

(La phénoménologie, bien que guidée par l’idée d’une mathésis universalis, peut prétendre à fonder toutes les sciences eidétiques).

Le champ phénoménologique

La méthode de l’épochè

§27 – Dans l’attitude naturelle, nous nous saisissons dans un rapport avec un monde tant choisi que symbolique.

§28 – Toute activité de notre conscience – tout cogito – se réfère à ce monde.

§29 – C’est dans ce monde que s’inscrit l’intersubjectivité.

§30 – La thèse de l’attitude naturelle consiste à affirmer la réalité de l’existence du monde.

Le monde devient norme de référence pour toutes les sciences qui s’appuient sur lui.

Or cette positionalité des sciences classiques ne peut se maintenir objectivement.

§31-32 – Car il est possible de douter de l’existence du monde.

La thèse de l’attitude naturelle peut donc être suspendue.

Sur cette possibilité se fonde l’épochè phénoménologique

= nous pouvons suspendre tout jugement d’existence quant à l’existence des choses du monde.

Cette « mise entre parenthèses » modifie tant l’attitude naturelle que les sciences qui se fondent sur elle.

§33-34 – On s’aperçoit alors que cette modification n’altère pas le flux de la conscience.

Ce flux se compose de différents vécus qui s’articulent les uns avec les autres et donnent à la conscience toute sa richesse.

Ce flux, en chacun de ses moments, constitue le champ de la recherche phénoménologique

d’un point de vue eidétique (§34).

§35-38 – En ce cas, une détermination eidétique de l’unité de la conscience est nécessaire

= elle se caractérise comme activité intentionnelle (§35-36)

cad comme visée des vécus autant que de ses modes opératoires propres, selon une perception immanente.

§39 – Cette première détermination de la conscience mène à un problème essentiel :

quel statut donner à la conscience, autre que celui fourni par l’attitude naturelle, celui d’une simple interface entre un monde réel et le moi ?

= la conscience est-elle un champ réel d’investigations eidétiques ?

§40-6 – Or nous voyons que ce qui se donne par intuition immanente et immédiate à la conscience donne la réalité même de la chose, de manière absolue et indubitable.

Cette évidence eidétique s’oppose au caractère douteux du champ transcendant à la conscience (monde naturel).

Seul le champ eidétique et transcendantal de la conscience peut offrir une certitude apodictique.

La conscience se présente donc comme objet réel de recherche.

§47-51 – L’objectivité de la conscience pure réside dans le fait qu’elle résiste à la suppression en pensée de l’existence du monde naturel. (§49)

Cette absoluité fonde toute objectivité et toute nécessité eidétique des faits naturels.

La conscience est donc constituante.

§52-54 – Nous devons donc rejeter 2 conceptions scientifiques issues de l’attitude naturelle :

– la conception physique qui s’autoréfute en recherchant un substrat au-delà des phénomènes naturels alors qu’elle part d’eux pour s’établir (§52) ;

– la conception psychologisante de la conscience qui ne peut offrir aux vécus de conscience une unité eidétique en traitant les phénomènes de conscience comme une multiplicité naturelle sans cohésion objective (§53-4).

§55 – La conscience pure est donc le seul absolu constituant la réalité dans son objectivité et sa nécessité.

= Mais comment parvient-on exactement à cette conscience ?

La réduction phénoménologique admet plusieurs degrés.

§56 – elle élimine les sciences fondées sur l’attitude naturelle ;

§58 – la transcendance divine ;

§59 – la logique pure qui ne peut aider la phénoménologie à se fonder ;

§60 – les eidétiques matérielles dont les essences sont transcendantes à la conscience.

= ces différentes réductions laissent intact le moi pur, coprésent à tout vécu immanent de csce (§57)

et permettent par là de préserver la pureté du champ phénoménologique (§61).

§59-62 – La phénoménologie se dévoile à nous comme la description des vécus immanents de conscience,

première science autofondatrice pouvant jouer le rôle de critique auprès de toutes les autres sciences eidétiques.

Les problèmes phénoménologiques

§63 – La phénoménologie se voit ainsi privée de toute aide des traditions antérieures.

§64 – Le phénoménologue doit s’exclure de la recherche pour préserver la pureté du champ transcendantal.

= La science phénoménologique doit donc s’élucider dans un perpétuel mouvement de retour sur soi.

Première conséquence : il faut préciser son objet.

§67-69 – Il est le donné immanent de la conscience, donné qui peut s’offrir plus ou moins clairement et qui pour cela est susceptible d’une clarification progressive.

§70 – Dans cette clarification, la perception (comme donation originaire des essences) et l’imagination (comme présentification libre des essences) jouent un rôle fondamental.

Seconde conséquence : en quoi diffère-t-elle des autres eidétiques ?

§71-5 – La mathématique peut nous aider à le comprendre : elle est une eidétique, mais qui traite hypothético-déductivement de ses objets à partir d’un petit nombre de concepts exacts (ses axiomes).

En revanche, la phénoménologie décrit les vécus de la conscience pure, mais en regard de la diversité infinie de ces vécus, ne pouvant se contenter d’utiliser un petit nombre de concepts exacts.

§76 – cette difficulté inhérente à la phénoménologie incite à déterminer les grands thèmes selon une spécification plus générale, qui est donnée par la réflexion.

§77 – en effet, la réflexion est l’opération qui découvre les vécus et qui elle-même peut se présenter comme tel.

§78 – La réflexion consiste à se détourner d’un objet intuitivement saisi pour se diriger vers la conscience qu’on en a.

Elle regroupe donc tous les modes de saisie des essences.

§79 – Opérant sur le plan eidétique, c’est elle qui fonde toute introspection psychologisante

§81-2 – et qui dégage le moi pur, unité des actes opérés sur les vécus qui s’inscrivent dans une double temporalité phénoménologique,

§83 – et une unité idéelle.

§85 – S’ajoute à cela que la réflexion, en tant que visée, pose l’intentionnalité comme thème capital de la phénoménologie selon la distinction ontologique entre matière et forme.

§86 – La phénoménologie se définit ainsi comme phénoménologie transcendantale, science qui étudie la constitution de l’objectivité en unités au sein de la conscience transcendantale.

La structure duelle de la conscience : noèse et noème

§88-90 – La conscience transcendantale regroupe différents types de vécus qui possèdent tous une structure noético-noématique.

La noèse est l’aspect intentionnel du vécu de conscience,

le noème (son corrélat), visé par la noèse, est une structure « feuilletée », organisée autour d’un noyau objectif de sens.

§91-92 – Cette structure duelle se retrouve suivant les différentes modifications attentionnelles considérées…

§92-95 –…et à chaque « étage » de la conscience.

§97 – Comment le noème s’inscrit dans les vécus de conscience puisque c’est lui qui, par son noyau noématique, semble fonder leur objectivité.

= pour cela il faut préciser le statut du noème.

Le noème est un moment non réel du vécu de conscience obtenu par l’épochè (suspension du jugement).

§98 – Dépendant de la noèse, dont il est le corrélat, il possède sa structure unitaire propre.

4 dimensions néomatiques existent, chacune capable de complexification à des degrés différents.

1. dimension de présentation et de présentification (§99-101)

2. dimension de croyance (doxique) impliquant différentes modalités ontologiques (§103-5)

3. dimension de négation ou d’affirmation qui opère sur les modalités doxiques (§106-8)

4. dimension de la modification de neutralité qui consiste à suspendre tout positionnement doxique (§109-114).

à travers ces analyses, nous découvrons que le noème n’est pas déterminé par la noèse

bien qu’il lui soit parallèle, mais qu’il se révèle à partir du regard porté (moment noétique)

sur l’objet obtenu par réduction phénoménologique (§108).

§113-7 – La conscience se dévoile en conséquence comme conscience positionnelle

– suivant l’actualité (présence effective du vécu de conscience)

– suivant la potentialité (présence simplement possible du vécu de conscience).

Pour ces 2 caractères, la conscience se répartit soit en actes opérés (actualité), soit en amorces d’actes (potentialité).

+ le fait que la noèse produit des modifications qui induisent des degrés supérieurs de conscience.

§116 – Tout vécu est positionnel et peut servir de fondement à d’autres vécus de degrés supérieurs.

§117 – degrés supérieurs qui délimitent de nouvelles régions ontologiques, et de nouveaux corrélats noématiques.

Ces nouveaux degrés supérieurs de la conscience sont :

– les synthèses de conscience (§118-123) ;

– la couche noético-noématique du logos, cad de l’exprimer (aspect noétique) et de l’expression (aspect noématique) (§124-127).

§124 – Cette dernière couche montre que tout vécu d’un point de vue formel s’inscrit sous la logique.

Celle-ci étant une expression, la prétention de la phénoménologie à se fonder est légitimée.

Esquisse de la constitution de l’objectivité : raison et réalité

Quelle relation du noème à l’objet ?

§128-131 – Le noème a été jusqu’ici considéré comme sens et suivant ses différentes modifications.

Il faut maintenant le saisir en tant qu’il est le fondement de l’objectivité.

Or nous pouvons remarquer que le noème comporte une certaine forme d’intentionnalité : par son noyau noématique, il vise un objet, un pur quid auquel se rattachent les prédicats qui sont justement constitutifs du sens noématique.

§132 – Ce sens, en tant que saisi dans sa positionnalité et sa plénitude, se nomme noyau noématique complet.

§133-4 – Le sens est la matière de tous les moments thétiques (=qui se rapporte à une thèse ; « jugement thétique » = Jugement qui pose quelque chose de manière absolue, indépendamment de toute autre assertion).

Suivant la forme de ces moments thétiques, il est possible d’élaborer une morphologie apophantique, cad une analyse des significations logiques et des propositions prédicatives selon toutes dimensions de la conscience. [Bref, d’énoncer des vérités sur la conscience, non ?]24

§135 – Cette morphologie dénote la multiplicité possiblement infinie des sens, chaque sens étant ce qui demeure de la réalité naturelle une fois l’épochè effectuée.

Ce résidu s’inscrivant sous des relations eidétiques nécessaires, nous ne retombons pas dans une psychologie empirique, et la raison se présente comme la faculté permettant de statuer sur la réalité du pur objet (le quid) visé par le noyau noématique (le sens).

La raison

§136-7 – La fondation rationnelle consiste à obtenir l’évidence dans l’adéquation entre le donné de conscience et le mode sous lequel ce donné apparaît.

Cette évidence s’appuie de façon médiate ou immédiate sur la donation originaire, remplissement adéquat du sens.

= Autrement dit, la conscience rationnelle est une modalité thétique spécifique de l’évidence au niveau de ce sens noématique.

§138-140 – L’évidence étant susceptible de plusieurs modalités…

§141 –…la fondation rationnelle l’est aussi.

§142 – la visée de la phénoménologie est donc l’élucidation rationnelle des données pour en obtenir l’objectivité ontologique.

§143 – Mais puisque les objets transcendants à la conscience ne peuvent s’offrir qu’imparfaitement (cf §41), l’élucidation rationnelle des données, en ce qui concerne ces objets transcendants, ne peut s’envisager que comme une idée régulatrice de la raison.

§144-5 – Mais comme, eidétiquement, l’être véritable ne peut se concevoir que comme le corrélat de l’être donné selon l’évidence rationnelle, nous nous devons de porter un regard attentif à cette visée de la phénoménologie.

§146 – Il s’agit alors d’esquisser rapidement l’application de la phénoménologie de la raison aux ontologies formelles et matérielles, qui est le problème de la constitution de l’objectivité.

§147-8 – D’un point de vue formel, les lois logiques offrent les modalités de leur validation rationnelle.

§149-153 – Matériellement, le fil conducteur de recherches encore à venir est la région « chose ».

→ cette région se constitue transcendantalement comme fonds primordial objectivant de toutes les autres régions matérielles, comme par exemple, le monde intersubjectif.

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