La gare autoroutière & Paul Morand

J’ai continué à explorer les routes et à observer les gens, en allant à la gare pour un aller-retour express à Mogliano Veneto où j’ai garé ma voiture. Je me rappelle d’un passage où Paul Morand se plaignait que les voitures fussent arrivées jusqu’à Venise. Un pont autoroutier a été construit en 1931 (mais le train avait relié l’île à la terre dès 1846). Dans mon souvenir, il regarde avec circonspection les beatniks et les hippies (cheveux longs, débraillés) qui attendent à la gare autoroutière le bus, ou qui font la manche. La piazzale Roma porte bien son nom : on dirait une place de Rome. Mais on en voit des similaires partout en Italie. Les bus rouges et blancs. Le bruit. Je me rends compte alors que si Venise n’a rien d’angoissant, c’est bien parce qu’il n’y a pas de voitures. Même si le Canal Grande ressemble à une autoroute. On devrait y interdire les bateaux à moteur (il paraît par ailleurs que le roulis violent qu’ils génèrent abîment les fondations, érodent les palais, ruinent les pierres), ou les limiter au moins à l’urgence sanitaire.

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Paul Morand prétend qu’arriver à Venise par la gare, c’est entrer dans un palais par la porte de service. Il ne cesse de vilipender les « hippies » qui fument de la marijuana à la gare autoroutière, et qui sentent très mauvais. On aurait pu lui couper la tête. Il a la nostalgie des aristocraties, comme tous les diplomates. Son élitisme est celui de la vacuité. Pour ma part, je ne trouve pas de meilleur effet que de sortir de la gare de Venise. Mais je dois dire qu’en bon émule de Dolmancé, j’aime passer par derrière. C’est justement renverser l’ordre, avec beaucoup de plaisir. Ce n’est qu’une fois après avoir connu l’intérieur qu’on pourra apprécier – ou non – la façade. Si cela était la règle en amour, il y aurait beaucoup moins de drames et de larmes. Je ne parle pas de l’intériorité, qu’on s’entende bien, non je parle de l’intimité du corps.