J’ai écrit deux heures hier, et même plus, et je n’ai pas pu tout dire ce que je voulais. Comme Sartre, il faudrait passer des heures éveillé, sous amphétamine, pour faire de la vie un pavé de plusieurs dizaines de milliers de pages et continuer cependant à vivre.
Un hélicoptère survole sans cesse la ville à cause du G20 qui se tient à partir d’aujourd’hui (vendredi 9 juillet 2021). Le palais des Doges est fermé, officiellement par mesure de sécurité, mais plus volontiers pour offrir aux aristocrates les meilleures conditions de visite. On ne mélange pas les serviettes et les torchons.
De démocratie, il n’y a aujourd’hui que le nom qui existe.
Venise n’est donc pas morte.
Je lisais hier le Dictionnaire amoureux de Venise de Philippe Sollers, et autant le personnage est insupportable et écœurant, et son écriture illisible, autant nous ne pouvons lui faire grief d’ignorance. Il connaît Venise. Il se place du côté de Debord (l’Internationale Situationniste était venue à Venise) plutôt que de Debray (alors que Debord lui crachait dessus), il sait lire Beauvoir, il apprécie Sartre (jusque dans quelques pics pas forcément mal venus). De Sartre, il critique les énormités du Séquestré de Venise mais en reconnaît les fulgurances. À côté des bêtises sur l’Arétin, le Titien ou sur une l’influence protestante à Venise, Sartre a vu et surtout a su dire les beautés du Tintoret. Je découvre qu’il cite le passage que j’avais noté de Beauvoir qui, dans La Force de l’âge, raconte leur premier séjour vénitien avec Sartre et sa langouste tricotante. Mais il ne relève pas que Sartre aussi plaidait pour une Venise vivante, et que ne pas voir la vie à Venise, c’était détester l’humain. Beauvoir était attentive à la vie des quartiers populaires (qui sont peau de chagrin ici comme dans toutes les métropoles), à la nourriture, aux détails où se niche ce qui vainc le factice comme le plantain défonce le macadam. Sartre, plus empêtré dans la littérature, tentait de faire concorder le passé de Venise et son présent, la beauté de Venise et la haine de la bourgeoisie. Il trouva en Tintoret le héros d’un de ses drames.
Sollers plaide pour une Venise vivante, loin du cliché de sa mort. Si on ne voit pas qu’elle est vivante, c’est qu’on n’y est passé qu’en touriste, ou que nous sommes contaminés par le nihilisme ambiant. Sans l’aimer, et en méfiant de lui, je rends à Sollers ce que je lui dois : il a secoué mon apathie.
En sacrifiant moi-même au laïus de la mort de Venise, je cède non seulement à un romantisme de carton-pâte mais surtout à ma fainéantise. Je suis alors moi-même plus mort que vivant.
De jeunes garçons et de jeunes filles hier, vers 23h, jouaient au basket avec un panier fixé dans la fenêtre murée d’une bâtisse renfermant je ne sais quel jardin, je ne sais quelles merveilles.
Les mouettes croassaient.
Ce matin, un vendeur en chariot sonnait aux portes en criant : « Immondizia ! »
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