Les débats sur la traduction sont pléthores – et souvent soporifiques. C’est ici (en pensant à Amelia Rosselli) une profession de foi – ou plutôt la présentation d’une méthode personnelle que je veux exposer.
Ce n’est pas en traducteur (professionnel, universitaire) que je traduis, mais en « écrivain », c’est-à-dire en personne qui écrit et qui regarde comment les autres font pour écrire (comme un musicien ou un ouvrier observe son confrère), et c’est aussi en cela que mon hygiène de la traduction consiste à enrichir la langue d’accueil. Le parallèle est sans doute facile et simpliste, mais on accueille l’étranger dans la langue comme on l’accueille sur le territoire. Pour nous : avec générosité.
Traduire, c’est enrichir la langue.
Accueillir les bizarreries (qu’elles le soient en effet ou par rapport à l’aune de notre langue), ne surtout pas aplanir les aspérités, mais les restituer au risque de bouleverser les habitudes, voire même de choquer.
Car se contenter de restituer une atmosphère, c’est trahir. « La belle infidèle » est un ravage (pour rester poli). Et il ne faut pas minimiser ou édulcorer cette trahison : c’est annuler le texte – le rendre nul. C’est effacer sa texture, sa matière, son emprise sur le réel, c’est-à-dire (si on me permet cette extension logique) sur nos structures socio-politiques dont le langage me semble être une part bien plus importante qu’on ne le juge actuellement. Puisque le langage est nécessairement performatif (ne peut pas ne pas l’être).
Ainsi il faut accueillir la langue autre dans toute son altérité, dans toute sa puissance d’altération aussi. Bouleverser, c’est toucher l’échine (l’émotion structurante), c’est participer au changement, c’est agir enfin, finalement – plutôt que d’attendre que le changement vienne d’en haut ou d’ailleurs (deus ex machina de l’État ou de la démocratie). Car (c’est une fin, puis un début) traduire, c’est déjà connaître – au moins – une langue des autres, – apprendre à connaître les autres.
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Le recueil « Document » (inédit en français) est paru aux éditions La Barque en décembre 2014.
Amelia Rosselli – La Barque – photographie de Dino Ignani – traduction Rodolphe Gauthier © Photographie