San Crisogono

http://romapedia.blogspot.com/2018/12/st-chrysogonus.html

https://it.wikipedia.org/wiki/Basilica_di_San_Crisogono

https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:San_Crisogono_(Rome)

Basilique. Église nationale corse.

Ce n’est pas l’unique église au monde dédiée à Chrysogone (martyre d’Aquileia en 303), contrairement à ce qu’on prétend : une église de Zadar (où on aurait ramené son corps), consacrée en 1175, porte son nom.

V : basilique sous nom de Titulus Chrysogoni sur les restes d’une bâtisse de l’époque impériale.

VIII : agrandie par Grégoire III

1123-9 : reconstruit par le cardinal Giovanni da Crema.

1124 : campanile roman, avec coupole pyramidale à plan carré.

1127 : autel principal.

1620-6 : restaurée entièrement par G.B. Soria pour le cardinal Scipione Caffarelli Borghese, neveu de Paul V. Notamment façade baroque, avec pronaos à 4 colonnes toscanes avec une corniche surmontée de sculptures d’aigles et de paniers de fleurs.

1863-6 : dernières rénovations.

Plan de basilique simple à 3 nefs séparées par des colonnes ioniques lisses.

22 colonnes de granite, parmi les plus grosses et les plus précieuses de Rome.

Façade et campanile : image

Plafond et sol : en bois, à caissons, baroque, qui reflète le sol cosmatesque, un des mieux préservés de Rome.

Guerchin : Triomphe de Chrysogone, copie de l’original volé/acheté en 1808, maintenant à la Stafford House/Lancaster House à Londres.

Gauche de l’entrée

Carlo Marchionni, avec statues de Pietro Bracci, Monument du cardinal Giovanni Jacopo Millo

Nef droite

Giovanni Mannozzi (dit da S. Giovanni), 3 archanges

Paolo Guidotti, 10 saints dont Baptiste et catherine, Sainte Françoise de Rome et Crucifixion

Chapelle du saint Sacrament (fond de la nef droite)

Peut-être du Bernin (1641)

Ludovico Gimignani (le fils), Ange gardien, recouvert par une peinture du XVIIIe ou XIXe siècle.

Giacinto Gimignani (le père), Trinité et anges (voûte)

Giuseppe Mazzuoli, Monuments de Monseigneur Gaudenzio Poli et du cardinal Fausto Poli (1680), avec bustes de Giuseppe Mazzuoli.

Abside et autel

Pietro Cavallini (?), Vierge à l’enfant avec Jean et Chrysogone (c.1290)

G.B. Soria, ciboire avec 4 colonnes d’albâtre de la basilique du V

Reliques de Chrysogone : une main et sa calotte.

Pierre déposée par le cardinal sarde Benedetto Cao en 1068, en mémoire des ancêtres. En 1333, ses descendants (Quintilio et Annibale) mirent un monument avec les emblèmes de la famille. En 1501, un autre descendant, Francesco Cao, camériste d’Alexandre VI, déposa une autre pierre en mémoire de ses prédécesseurs.

Transept gauche

Giuseppe Migliorini, orgue (1938)

Nef gauche

Corps embaumé de la bienheureuse Anna Maria Gaigi (1769-1837). Née à Sienne, à Rome dès 6 ans, serveuse avec des pouvoirs prophétiques qui lui ont fait annoncer des milliers d’événements historiques ! Elle prétendait voir un mystérieux orbe solaire devant et au-dessus d’elle.

Presbytère

Cavalier d’Arpin, Sainte Vierge

Vestiges paléochrétiens

Fresques du XIe, avec l’histoire de Benoît et Sylvestre (droite), clipei et médaillons avec saints et martyrs.

Benoît guérit le lépreux, Sylvestre capture le dragon, Saint Pantaleone guérit l’aveugle, Saint Placide sauvé.

(« Les vestiges de la période classique découverts lors de l’investigation de la basilique inférieure Saint-Chrysogone permettent de reconstituer l’ancien niveau de la rue romaine, de près de 6 m. en dessous du niveau actuel, et documentent la transformation d’une (ou plusieurs ?) domus en titulus, salle de culte chrétien semblable à une « paroisse » avant la lettre, qui, depuis le début du Ve siècle après J.-C., a pris la forme de la basilique, avec une nef et un déambulatoire extérieur (narthex). La maison romaine – entièrement réalisée en briques – représente près des 2/3 du volume de la basilique. Pour le construire, on a ajouté l’avant du narthex à l’est, et les murs ont été prolongés vers l’ouest – en ‘opus listatum’ avec une alternance de briques et de tuf – pour construire le presbytère et l’abside », Flavia Frauzel – www. trasecoli.it)

+

omoplate de Jean de Matha

Anonyme, Lutte contre les infidèles

XVII, San Carlo Borromeo

XVII, 3 saints moines

XVIII, 3 saints

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Rome

– Sant’Agata dei Goti

– Sant’Agnese fuori le Mura

– Sant’Agnese in Agone

– Santi Ambrogio e Carlo al Corso

– Sant’Ambrogio della Massima

– Sant’Anastasia al Palatino

– Santi Andrea e Claudio dei Borgognoni

– Sant’Andrea delle Fratte

– Sant’Andrea al Quirinale

– Sant’Andrea della Valle

– Sant’Antonio dei Portoghesi

– San Bartolomeo all’Isola

– Château Saint-Ange

– Chiesa Nuova (Santa Maria in Vallicella)

– San Crisogono

– Santa Croce in Gerusalemme

– Santi Domenico e Sisto

– Sant’Eustachio

– San Francesco a Ripa

– San Girolamo della Carità

– San Lorenzo in Miranda

– Santa Maria in Trastevere

– Santa Maria in Trivio

– Santa Maria in Vallicella (Chiesa Nuova)

– San Silvestro al Quirinale

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Michael Sweerts, Réalité et mystère dans la Rome du XVIIe siècle (expo 2024-5, Rome)

Michael Sweerts, Realtà e misteri nella Roma del Seicento, Accademia Nazionale di San Luca (palazzo Carpegna), Rome, du 7 novembre 2024 au 18 gennaio 2025.

Commissaires : Andrea G. De Marchi et Claudio Seccaroni.

Catalogue (223 pages, 35 euros ; il est bon de savoir que 2 livres à 35 euros reviennent à 50 euros)

Michael Sweerts est, selon l’expression, un illustre inconnu. Son nom se rencontre régulièrement, il jouit même aujourd’hui d’une attention méticuleuse de la part de quelques experts, et pourtant le personnage et sa peinture demeurent mystérieux. Mieux, le mystère s’épaissit à mesure qu’on apprend à le connaître. L’exposition du palais Carpegna (qui abrite la célèbre Académie de Saint-Luc à Rome), la première consacrée entièrement à l’artiste depuis vingt ans, peut apparaître modeste – et d’une allure austère (ill.1) –, puisqu’elle ne rassemble que 13 œuvres du maître réparties en trois petites salles. Mais elle ne l’est pas quand on sait que sur les 150 œuvres environ qu’on lui prête, seule une vingtaine est incontestablement de Michael Sweerts. Elle est en outre accompagnée d’un catalogue riche et passionnant.

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ill.1) Vue de la deuxième salle de l’exposition

(photo : RKG)

La fascination qu’exerce Michael Sweerts tiendrait toute dans sa peinture discrètement originale, mais sa vie errante et inquiète nourrit indéniablement sa légende. Né à Bruxelles en 1624 ou 1625, cet enfant d’une famille noble catholique est mort à Goa, colonie portugaise aux Indes, en 1664. On ne sait rien de sa formation, mais on le retrouve en 1643 à Rome, peintre, graveur et marchand d’art avisé, lié la puissance famille des Pamphilj. Lié surtout par sa nationalité aux bamboccianti et au cercle sympathique des artistes flamands (et pas seulement) appelés les Bentvueghels. Son œuvre, qui à première vue se rattache à cette tradition, s’en détache pourtant par des caractéristiques fondamentales : chez Sweerts, pas de jugement, pas de critique, et un regard dénué de cette ironie parfois un peu épaisse qu’on trouve (mais pas toujours, il faut le préciser) chez l’espiègle Van Laer, dit le Bamboche. Michael Sweerts scrute la vie populaire avec une attention grave, presque solennelle. Rentré à Bruxelles en 1655, il y ouvre un atelier de dessin florissant, mais toujours plus occupé de religion, le voilà bientôt à Paris où il y entre à la Société des missions étrangères. À Paris, il regarde la peinture des frères Le Nain. S’ensuit un court séjour à Amsterdam en 1661 dans le groupe de ces missionnaires mené par Monseigneur Pallu, évêque in partibus d’Héliopolis, qui prépare leur départ en Orient. La mission s’embarque finalement à Marseille en janvier 1662. Turquie, Syrie, Arménie. On dit qu’il peignit avec succès à Alep ; rien ne nous est parvenu. En juillet de la même année, son caractère irascible le brouille définitivement avec les membres de la mission, et le voilà qui poursuit seul sa route jusqu’à Goa. Pourquoi n’est-il pas rentré ? Quel mysticisme enfiévrait ce précurseur, non pas de Rimbaud, mais plutôt de Germain Nouveau ? Il meurt à Goa, deux ans plus tard, en 1664.

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ill.2) Emblème de la famille Sweerts, qui rappelle ses origines hollandaises.

(photo : RKG)

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ill.3) Michael Sweerts, Autoportrait (1645, Offices)

(photo : RKG)

Le parcours s’ouvre logiquement sur la question de l’identité de Sweerts, qu’on a cru parfois fils de marchand, mais qui est bien noble. L’emblème de la famille Sweerts, originaire de Hollande, est exposé (ill.2). Cette noblesse, parfois contestée à cause des sujets de certains de ses tableaux, était déjà suffisamment prouvée par le titre de « chevalier de l’éperon d’or » que lui octroya Innocent X (dont il n’arbora jamais l’insigne dans ses portraits), scrupuleusement réservé aux nobles : les artistes ne pouvaient qu’aspirer à celui de « chevalier du Christ » (comme le cavalier d’Arpin ou Le Bernin). Il ne s’en représente pas moins avec un regard altier dans un bel autoportrait de jeunesse (ill.3), à partir duquel les commissaires proposent d’en reconnaître d’autres dans ses tableaux. Ils prennent ainsi le risque de renommer le Portrait de Johannes Lingelbach (ill.4) qui ressemble tout de même très fort aux autres portrait de Johannes Lingelbach que nous connaissons. De manière plus convaincante, et quoique le visage dans l’ombre de son chapeau lui confère une valeur plus générale que particulière, l’artiste qui dessine des buveurs que lui indique un ami à une fontaine (ill.5) a tous les traits, sinon physiques, du moins psychologiques de notre artiste : passionné d’art antique (présent par les colonnes à gauche), cet artiste se tourne vers la vie, vers l’autre, vers autrui, c’est-à-dire les simples buveurs d’une fontaine à droite.

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ill.4) Michael Sweerts, Autoportrait dans l’atelier (portrait de Johannes Lingelbach)

(1650-3, Rome, Gallerie Nazionali di Arte Antica, palazzo Barberini)

(photo : RKG)

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ll.5 – Michael Sweerts, Artiste qui dessine des buveurs à une fontaine

(1643-8, Roma, collection Alberto Di Castro)

(photo : RKG)

Cette véritable dialectique entre art savant et art populaire est ce qu’il y a de plus fascinant, car de plus inépuisable, chez Michael Sweerts. Elle s’inscrit dans le temps long de cet humanisme qui veut que la connaissance de l’Homme et de la vie passât par la connaissance de l’Antique, sous-entendant fondamentalement que « l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art », si l’on est assez bienveillant pour nous suivre dans cette enjambée qui nous fait citer un artiste des années 1970. Sweerts aime la vie populaire et il aime l’atelier et ses instruments, le dessin et la sculpture antique. Et malgré un caractère ombrageux, Sweerts a toujours gardé l’exigence altruiste de la transmission des savoirs et des savoir-faire. D’un côté, il passe pour imbuvable (le poète Matthijs van de Merwede se plaint de son accueil en 1648) et se fait exclure, malgré sa noblesse et le pays musulman où il se trouve, d’une mission catholique, de l’autre il mène des quêtes auprès de ses condisciples pour l’Académie de San Luca elle-même (dont il ne fit pourtant jamais partie), il se consacre à l’enseignement, il se fait missionnaire. C’est qu’il faut entendre son missionnariat tardif comme une forme exaltée de son altruisme. Sans cesse, il affirme l’importance de la transmission. Ses représentations d’atelier en témoignent, qui sont sans doute plus célèbres encore que ses scènes de « gueuserie », et on sait qu’il ouvrit à Bruxelles une école de dessin qui lui donna l’occasion de publier un recueil de gravures pour l’étude des visages, dont le titre explicite sa volonté didactique (Diversae facies in usum juvenum et aliorum delineatae per Michaelem Sweerts equit., pict., etc.,1656). Si l’on peut regretter l’absence d’estampes dans cette exposition, on peut regretter surtout qu’un de ses tableaux d’atelier les plus célèbres ne soit présent qu’en fac-similé (l’original est au Rijksmuseum d’Amsterdam). Une installation sommaire y joint un écorché et un bas-relief de François Duquesnoy (né, pour rappel, à Bruxelles) proche de celui qu’on aperçoit dans la corbeille en bas à droite du tableau, parmi d’autres modèles (ill.6). On retrouve les mêmes éléments dans plusieurs toiles, dont le Portrait de Johannes Lingelbach qu’on a déjà évoqué. L’Académie de Saint Luc ne pouvait pas ne pas insister sur cet aspect de la personnalité et de l’œuvre de Michael Sweerts, ce qui lui donne l’occasion de parler d’elle-même, – ou plutôt de son passé.

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ll.
6 –Michael Sweerts, vue de la première salle avec le fac-similé de la Scuola d’arte,

des plâtres, un bas-relief de François Duquesnoy.

(photo : RKG)

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ll.7 –
Michael Sweerts, Le pauvre d’âge moyen (ou Le Vieux Pèlerin)

(1644-6, Rome, Musei Capitolini, pinacothèque)

(photo : wikimedia, domaine public)

À côté de cet art savant, cet art pour artistes, Michael Sweerts, dans la tradition flamande et désormais italienne avec les bambochades et la compagnie des Bentvueghels, s’adonne à la représentation du peuple. S’il annonce, en Italie, par le cadre, sa touche de plus en plus déliée (si on suit les attributions) et par la profondeur psychologique de ses personnages, un Giacomo Ceruti, dit « il Pitocchetto » (ill.7), il rappelle surtout – et surtout à un public français – les frères Le Nain. Didactisme et intériorité, éloquence et méditation. L’exposition insiste beaucoup sur ce refus du vulgaire, du comique facile, qui caractérise alors souvent la peinture de la vie quotidienne, sans qu’on puisse résumer à cela les « bambochades » et encore moins la production des membres de la Bentvueghels qu’on sait former une joyeuse compagnie d’entraide et en aucun cas une école ou un mouvement artistique. Mais la peinture de Michael Sweerts est en effet empreinte d’une profonde et puissante poésie. Pour preuve, laScène de prostitution(ill.8), scène de genre où un homme semble négocier, en pleine rue, une prostituée avec une femme qui était en train d’épouiller un jeune garçon assis à ses pieds. L’attention aux objets, aux matières, à la lumière, et à ce jeu subtil des regards dont celui de l’homme à droite qui ne serait autre, semble-t-il, que notre peintre, constituent le vrai sujet de ce tableau de la vie quotidienne, sans intention morale, et sans moquerie aucune.

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ll.8 –
Michael Sweerts, Scène de prostiution(1644-6, Rome, Accademia di San Luca)

(photo : il faudra demander l’accord de l’Académie, qui la donne facilement)

L’exposition rapproche plusieurs tableaux, soit qu’ils fonctionnent par paires, comme une vieille fileuse et un vieux pèlerin dont la gourde à terre n’est pas sans évoquer un crâne (tout deux visibles d’ordinaire à la pinacothèque capitoline, à côté de toiles de Salvator Rosa), deux « femmes en train de se coiffer » dont seul le décor varie, l’une devenant une prostituée, l’autre renvoyant à une allégorie de la vanité, et deux autres encore intitulés Couple élégant visitant des pasteurs (ill.9), dont on a découvert, après nettoyage, que l’un d’entre eux a été exécuté au moins en partie par un peintre encore inconnu qui a signé « P.F.N ». Ce tableau et celui de la Fileuse se réchauffant avec un enfant devant un brasero (ill.10), dont le personnage féminin rappelle la Madeleine du Caravage au palais Doria Pamphilj, qu’on attribue à un suiveur du peintre, soulignent l’influence immédiate qu’a pu avoir Michael Sweerts, en esquissant un environnement de travail encore mal défini.

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ll.9 – Michael Sweerts, Couple élégant visitant des pasteurs

ou

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ll.10 – Collaborateur de Michael Sweerts, Fileuse et enfant qui se réchauffent à un brasero

(vers 1650, collection privée)

Serait-ce anachronique de lire dans toutes ces scènes qui mêlent, sans aucun message moral, pauvres et riches, une réflexion sur le sujet (sujet ontologique) et, sinon sur ce qu’on appellera « les classes sociales », du moins sur les rapports entre les individus malgré les différences sociales ? N’est-ce pas, pour le futur missionnaire, un message profondément chrétien ? La condition noble de Sweerts, et donc son indépendance vis-à-vis des nécessités du marché de l’art (celui qui fait son miel des scènes de genre et de paysanneries en cette première moitié du XVIIe siècle), ne lui permettent-elle pas d’élargir sa réflexion sur la condition humaine, sans devoir complaire par une touche comique ? Son inquiétude spirituelle, relevée par tous ceux qui l’ont approché, ne peut-elle pas nous inciter à interpréter dans cette direction ces tableaux troublants ? Il y a de la philosophie spirituelle dans l’art de Michael Sweerts. Et pour la déployer, il utilise les accents de la peinture hollandaise (notamment dans les ouvertures de la perspective des intérieurs), il regarde vers Vélasquez, Ribera, Van Dyck même et se reconnaît, à Paris, dans la peinture des frères Le Nain. Ces nombreuses correspondances et influences ne doivent cependant pas faire croire à un art d’imitation ou que Sweerts serait un simple suiveur : son goût et sa sensibilité l’élèvent au rang de maître.

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ll.1
3 – Michael Sweerts (?), Saint Bartolomé

(1650-3, Arezzo, Museo Nazionale d’Arte Medievale e Morderna)

(photo : RKG)

Cette exposition, modeste mais passionnante, se referme sur une proposition d’attribution. Un saint Bartolomé (ill.13) dont le style, proche de Pietro Bellotti, semble éloigné de sa production habituelle (rehauts de blancs pour les sourcils et détails des rides qu’on ne trouve pas dans d’autres portraits) mais qui, s’il s’avérait être de Sweerts, ouvrirait de nouvelles voies. Toutes ces propositions sont soutenues et argumentées dans un catalogue copieux (175 pages, sans compter celles de la traduction anglaise des articles en fin de volume), avec des notices soignées et de nombreux articles, notamment sur l’activité de graveur du peintre, sur l’étude de documents inédits et sur des questions techniques. Il fait encore ressurgir la figure d’un personnage étonnant, sorti d’un roman de Zola mélangé à un roman de D’Annunzio, Maurice Dumarest, né à Trévoux en 1831, homme d’affaires français naturalisé italien, dont la noblesse louche ne l’a pas empêché d’épouser une véritable comtesse, et qui s’est rapproché à la fin de sa vie de l’Accademia di San Luca à qui il a fait don de sa collection, dont 5 tableaux de Michael Sweerts. Si l’on sait que la dernière exposition monographique de Sweerts a eu lieu à Amsterdam en 2002, et que nous ne sommes pas sûrs d’en revoir une avant vingt ans, voilà de quoi justifier un détour, entre la fontaine de Trevi martyrisée et le dernier Caravage au palais Barberini, par cette exposition gratuite.

Rodolphe Kasmirak-Gauthier

Nirvana ou la révolte impossible

Que faire de nos premiers émois quand on comprend qu’ils dépendent du capitalisme industriel qu’on rejette ?

La révolte contre le capitalisme industriel peut-elle être suscitée par le capitalisme lui-même ?

Comment s’inscrit un groupe comme Nirvana dans cette dynamique ?

Au-delà de l’exemple de Nirvana, pour le dire d’une autre manière, peut-on rester fidèle à nos émois de jeunesse alors qu’ils sont le produit du capitalisme, surtout quand on prend conscience que suscités par l’industrie culturelle, ces émois de jeunesse sont un des moyens les plus efficaces du système capitaliste pour s’imposer à la société ?

Introduction – La grâce et la crasse

Partie I – Déterminations
A. De l’industrie intime
Heurs et malheurs de l’industrialisation
Soumission & rébellion
B. Petite histoire du grunge
Seattle et le grunge
Le Riot Grrrl : du féminisme dans le punk-rock

Partie II – Contingences irréductibles
A. Nirvana
Bleach
Nevermind
Incesticide
In Utero
Unplugged in New York
B. La banalité du cas Cobain
La vie d’un jeune homme
Des mots & des paroles
L’enfance fantasmée
De l’abstraction musicale à la destruction finale
Eloge de Courtney Love

III – Dialectique tronquée
A. Puissance et faiblesse des critiques de Nirvana
Dénonciation du viol
Une histoire de genre
Dénonciation du racisme
B. Critique tronquée de l’industrie culturelle
Eloge du marginal
Critique des faux fans
Critique de la scène musicale

Epilogue – Critique radicale & impropriation

Bibliographie
Sur Nirvana, Kurt Cobain, le grunge
Livres cités

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Bibliographie

  1. Amours I (poésie, Rome, 2005-10)
  2. La fête et la fin (récit, Lille, 2005)
  3. La Revanche de Frenhofer (poésie, septembre 2008) ;
  4. Solstices (roman, 2010) ;
  5. Cartographie (poésie, Lisbonne, 2012) ;
  6. Amours II (Lille, 2013) ;
  7. Miscellanées états-uniennes (récit de voyage) (septembre 2014) ;
  8. Fauna (poésie), avec Camilo Cardenas, Les éditions Solstices (septembre 2014) ;
  9. Sweet nightmares (contes en anglais), The Minesweeper Collective (octobre 2014) ;
  10. Dédale (poésie, anglais), avec 20 artistes, Minesweeper Collective (nov 2014) ;
  11. Les os sous la peau (poésie), Les éditions Solstices (novembre 2014) ;
  12. Berceuse pour une insomnie (récit, 2015) ;
  13. Le Silence de Ferrare (récit), Les éditions Solstices (août 2015) ;
  14. Vie et oeuvre de Dosso Dossi (étude), Les éditions Solstices (septembre 2015) ;
  15. The Minesweeper songs (poésies en anglais, Londres, 2015) ;
  16. Materia (poésie), typographie, avec gravures de Yann Legrand (novembre 2015) ;
  17. Api & scorpioni (poésie, Rome, 2016) ;
  18. Les cités amoureuses (nouvelles, 2017) ;
  19. L’art de l’ombre (essai, Paris, 2017) ;
  20. Les idées plus noires que l’encre (poésie), avec dessins de Trefex (mai 2018) ;
  21. Animots/Animals (poésies angl/fr) linogravures d’Illustre Feccia (mai 2018) ;
  22. Anna Imaginaire (récit en vers, 2020) ;
  23. Nirvana ou la révolte impossible (essai, 2021) ;
  24. L’Amitié (essai, 2021) ;
  25. Aprilins (poésie pour Marion Poulain, 2022) ;
  26. Noir & rouge (Berlin, mars 2022) ;
  27. La punta della lingua (poésies en italien, Trieste, juin 2022) ;
  28. Animals (poésies, Berlin, juillet 2022) ;
  29. Sérigraphies lilloises (Lille, décembre 2022) ;

Le Palais des Doges

On encense encore le pouvoir qui écrase. Le pouvoir inaccessible. On le perpétue. On le sacralise. Il est interdit d’emprunter l’escalier des Géants. En revanche, les prisons sont longuement parcourues. C’est qu’on continue à distiller dans la révérence du Pouvoir et la crainte d’y porter atteinte.

Mais aujourd’hui, toutes ces salles en enfilade sont désertées. Elles bruissaient de monde et d’intrigues, elles sont creuses comme des dents pourries. On transite de l’une à l’autre et les récits des guides nous ennuient.

Et le Tintoret ? Sartre le dépeint en rupture, en séquestré : il a atteint au contraire la gloire. Son paradis (qui a des airs de jugement dernier) est une consécration aussi grande que celle du jugement dernier de Michel-Ange à la chapelle Sixtine.

Par ailleurs, c’est fort éloquent de voir la traduction déjà moderne de l’établissement du pouvoir sur un fondement transcendant qui lui est cependant secondaire. Car le paradis, derrière le doge, n’est que la garantie d’une légitimité du pouvoir séculier. Il ne vaut plus pour lui-même. Personne à Venise ne croit au paradis et surtout ne craint le jugement dernier, mais tous craignent surtout les Plombs. C’est presque un mensonge, une mascarade : beaucoup comprennent qu’il n’y a pas d’autre légitimité au pouvoir du doge et du conseil que la violence d’État. Mais maquiller cette violence par un récit mythologique ancestral détourne l’attention, endort les velléités critiques, ou mieux : montre l’exemple quant à l’attitude à adopter s’il s’avère qu’on n’est pas dupe. Baffo. Cela est toujours vrai aujourd’hui).

Personne n’ira aujourd’hui critiquer cette muséographie laudative d’une oligarchie qui sentait le sang et le fer. Et c’est bien triste.

Pauvre Carpaccio / Pauvre gamin

Pauvre Carpaccio

Scuola di San Giorgio. Je rentre. Le cycle du Carpaccio en frise sur tous les murs. Une femme derrière sa vitre me rappelle que je dois enfiler mon masque. Je remarque alors que c’est payant. Quoi ? Regarder ces fresques qui sont là déjà exposées, c’est payant ? La guichetière me débite un laïus de soumise : elle ne gagne que des miettes, mais elle proclame tout le bien fondé des 6 euros qu’on extorque aux rares curieux. Je tergiverse tout en regardant les fresques. Elle s’impatiente. Je sors un billet de vingt euros, je le plaque sur la vitre. Je luis dis : « Vous le voyez ? » Elle me répond mi-agacée, mi-étonnée : « Ben oui ! » Je regarde à nouveau les fresques puis range le billet : « Et moi j’ai vu les fresques, nous sommes quittes. »

*

Pauvre gamin

Le pauvre gamin d’une dizaine d’années à qui sa grand-mère faisait souffrir la torture de la guide privée, totalement démunie en termes de pédagogie, une fois arrivé devant le cycle de Sainte-Ursule avait remarqué : « Carpaccio, c’est le nom d’un jus de tomate, non ? » Stupéfaction et incompréhension des vieilles dames. « Pardon ? Qu’est-ce que tu dis, mon petit ? » Et l’enfant de réitérer : « Carpaccio, c’est pas le nom d’un jus… de tomate ? » Étonnement désormais apeuré devant l’élucubration : « Mais non, voyons, c’est le nom du peintre. » Pauvre petit gars, c’est toi qui as raison : carpaccio, c’est un nom de bouffe. Pas un jus de tomate, mais je suis sûr que tu en buvais un quand ta mère commanda un « carpaccio » de thon ou de saumon. Et ces vieilles sorcières qui te regardèrent comme un demeuré…

La gare autoroutière & Paul Morand

J’ai continué à explorer les routes et à observer les gens, en allant à la gare pour un aller-retour express à Mogliano Veneto où j’ai garé ma voiture. Je me rappelle d’un passage où Paul Morand se plaignait que les voitures fussent arrivées jusqu’à Venise. Un pont autoroutier a été construit en 1931 (mais le train avait relié l’île à la terre dès 1846). Dans mon souvenir, il regarde avec circonspection les beatniks et les hippies (cheveux longs, débraillés) qui attendent à la gare autoroutière le bus, ou qui font la manche. La piazzale Roma porte bien son nom : on dirait une place de Rome. Mais on en voit des similaires partout en Italie. Les bus rouges et blancs. Le bruit. Je me rends compte alors que si Venise n’a rien d’angoissant, c’est bien parce qu’il n’y a pas de voitures. Même si le Canal Grande ressemble à une autoroute. On devrait y interdire les bateaux à moteur (il paraît par ailleurs que le roulis violent qu’ils génèrent abîment les fondations, érodent les palais, ruinent les pierres), ou les limiter au moins à l’urgence sanitaire.

*

Paul Morand prétend qu’arriver à Venise par la gare, c’est entrer dans un palais par la porte de service. Il ne cesse de vilipender les « hippies » qui fument de la marijuana à la gare autoroutière, et qui sentent très mauvais. On aurait pu lui couper la tête. Il a la nostalgie des aristocraties, comme tous les diplomates. Son élitisme est celui de la vacuité. Pour ma part, je ne trouve pas de meilleur effet que de sortir de la gare de Venise. Mais je dois dire qu’en bon émule de Dolmancé, j’aime passer par derrière. C’est justement renverser l’ordre, avec beaucoup de plaisir. Ce n’est qu’une fois après avoir connu l’intérieur qu’on pourra apprécier – ou non – la façade. Si cela était la règle en amour, il y aurait beaucoup moins de drames et de larmes. Je ne parle pas de l’intériorité, qu’on s’entende bien, non je parle de l’intimité du corps.

Venice is not dead

J’ai écrit deux heures hier, et même plus, et je n’ai pas pu tout dire ce que je voulais. Comme Sartre, il faudrait passer des heures éveillé, sous amphétamine, pour faire de la vie un pavé de plusieurs dizaines de milliers de pages et continuer cependant à vivre.

Un hélicoptère survole sans cesse la ville à cause du G20 qui se tient à partir d’aujourd’hui (vendredi 9 juillet 2021). Le palais des Doges est fermé, officiellement par mesure de sécurité, mais plus volontiers pour offrir aux aristocrates les meilleures conditions de visite. On ne mélange pas les serviettes et les torchons.

De démocratie, il n’y a aujourd’hui que le nom qui existe.

Venise n’est donc pas morte.

Je lisais hier le Dictionnaire amoureux de Venise de Philippe Sollers, et autant le personnage est insupportable et écœurant, et son écriture illisible, autant nous ne pouvons lui faire grief d’ignorance. Il connaît Venise. Il se place du côté de Debord (l’Internationale Situationniste était venue à Venise) plutôt que de Debray (alors que Debord lui crachait dessus), il sait lire Beauvoir, il apprécie Sartre (jusque dans quelques pics pas forcément mal venus). De Sartre, il critique les énormités du Séquestré de Venise mais en reconnaît les fulgurances. À côté des bêtises sur l’Arétin, le Titien ou sur une l’influence protestante à Venise, Sartre a vu et surtout a su dire les beautés du Tintoret. Je découvre qu’il cite le passage que j’avais noté de Beauvoir qui, dans La Force de l’âge, raconte leur premier séjour vénitien avec Sartre et sa langouste tricotante. Mais il ne relève pas que Sartre aussi plaidait pour une Venise vivante, et que ne pas voir la vie à Venise, c’était détester l’humain. Beauvoir était attentive à la vie des quartiers populaires (qui sont peau de chagrin ici comme dans toutes les métropoles), à la nourriture, aux détails où se niche ce qui vainc le factice comme le plantain défonce le macadam. Sartre, plus empêtré dans la littérature, tentait de faire concorder le passé de Venise et son présent, la beauté de Venise et la haine de la bourgeoisie. Il trouva en Tintoret le héros d’un de ses drames.

Sollers plaide pour une Venise vivante, loin du cliché de sa mort. Si on ne voit pas qu’elle est vivante, c’est qu’on n’y est passé qu’en touriste, ou que nous sommes contaminés par le nihilisme ambiant. Sans l’aimer, et en méfiant de lui, je rends à Sollers ce que je lui dois : il a secoué mon apathie.

En sacrifiant moi-même au laïus de la mort de Venise, je cède non seulement à un romantisme de carton-pâte mais surtout à ma fainéantise. Je suis alors moi-même plus mort que vivant.

De jeunes garçons et de jeunes filles hier, vers 23h, jouaient au basket avec un panier fixé dans la fenêtre murée d’une bâtisse renfermant je ne sais quel jardin, je ne sais quelles merveilles.

Les mouettes croassaient.

Ce matin, un vendeur en chariot sonnait aux portes en criant : « Immondizia ! »

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